La règle du jeu

1. Les conventions

— La bienséance

1. Qu’entend-on par règle du jeu ? Question cardinale, dont l’intitulé figure dans l’adresse du présent site et qui, par conséquent, mérite qu’on s’y arrête un peu.

Si une règle est un modèle de comportement, si un jeu (social) est un exercice d’intégration, la règle du jeu — entendue en pratique comme un système de normes régissant une activité de coopération, voire la société toute entière —, la règle du jeu donc est une logique d’influence.

2. Or, dans le langage courant, l’expression renvoie à « l’ensemble des conventions que l’on doit admettre implicitement dans une situation donnée »1LAROUSSE, Dictionnaire en ligne, Règle, Expressions..

L’exclamation c’est la règle du jeu ! est plus riche de portée, qui en fait ressortir les divers aspects : elle indique que tel comportement est interdit (mention de l’existence de la règle), également que tel comportement doit être sanctionné (appel au respect de la règle), ou encore que tel comportement est nécessaire (rappel du rôle de la règle)2Sur les modalités de la règle, voir la notice dévolue à l’ingénierie de la règle et, en particulier, le contenu, l’effet, l’enjeu, la fonction, la force, l’intérêt, le mécanisme, la nature, la sanction, la source, la structure et la validité de la règle..

3. Ainsi, la règle du jeu procède de l’application de la loi de la causalité au champ social : les conventions posent des interdits dont la violation engendre des sanctions. Voyons les conventions — aussi bien ce qui est convenu (ou n’est pas remis en cause) et ce qui convient (ou n’est pas trop importun) — comme nature et fondement de la règle du jeu.

Ce qui est convenu : usages, codes, protocole ; ce qui convient : décence, savoir-vivre et bienséance — en somme, toutes les exigences de l’étiquette3« Mais, quand on est du monde, il faut bien que l’on rende / Quelques dehors civils que l’usage demande. » (MOLIÈRE, Le Misanthrope, 1666, Paris, Acte I, scène 1, vers 65-66).. Ce qui est convenu est ce qui convient (l’inverse est tout aussi vrai) : le bon ton, la discrétion et la propreté, de bonnes mœurs et des usages modérés. Pour autant, qu’a-t-on-dit de l’essence des convenances ? À peu près rien.

4. Omniprésentes dans la vie sociale4« […] ces analyses ont fait apparaître, en retour, ce qui est aujourd’hui une banalité : l’enchevêtrement de codes que constituent nos pratiques sociales. » (Bernard CERQUIGLINI, « Compte rendu du livre de A.-J. Arnaud, Essai d’analyse structurale du Code civil français. La règle du jeu dans la paix bourgeoise », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1974, n° 3, pp. 760-762, spéc. 760-761)., omniscientes en quelque sorte (y a-t-il un domaine qui ignore de « bonnes » manières de faire ?), les conventions sociales ont d’abord pour fonction l’adaptation aux circonstances présentes5« Convenance de ce qui se dit ou se fait avec ce qui est dû aux personnes, à l’âge, au sexe, à la condition, et avec les usages reçus, les mœurs publiques, le temps, le lieu, etc. » (Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Bienséance)., en tenant compte du milieu ambiant6« […] ce qu’on est convenu de respecter, les règles de bienséance, de savoir-vivre et de conduite en usage dans un milieu donné. » (Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Convention, I, 2)..

Par suite, si vous êtes timide ou empoté, lisez des manuels de savoir-vivre (on en trouve en téléchargement gratuit sur Gallica, le site de la Bibliothèque nationale de France). Vous y découvrirez tout un monde d’implicites et d’évidences (les sous-entendus et les non-dits) qui constitue la trame même de la vie sociale.

Ces usages et principes indiquent à la fois ce que les autres attendent de vous (ce qu’ils sont en droit d’exiger7« Chacun a le droit d’exiger qu’on le reçoive et qu’on l’accueille avec civilité, et personne n’a absolument la liberté d’agir en tout et partout comme il lui plaît. II y a des règles qui obligent à garder un certain décorum, qui est précisément ce qu’on appelle le savoir-vivre. On ne doit point vouloir jouir de tous les avantages de la société, sans fournir son contingent. Or la vie sociale n’est que le sacrifice continuel de nos volontés, de nos caprices et de nos intérêts personnels : il faut donc, quand la circonstance l’exige, remporter sur soi-même de pénibles victoires. » (Abel GOUJON, Manuel de l’homme du bon ton ou Cérémonial de la bonne société, 1821, Paris, Audin et Parmantier, p. 31-32).) et la façon dont ils réagiront avec vous si vous adoptez un comportement proscrit.

5. Il n’en reste pas moins qu’avant d’imposer, les conventions sociales se donnent comme des propositions, presque des conseils : elles indiquent de quelle manière on peut agir dans telle ou telle situation (comment entrer en contact, comment animer la conversation, comment éviter un conflit).

Car la vie en société vous met en demeure d’interagir avec les autres et, de ce fait, d’avoir le sens de l’à-propos — cette « aptitude à donner la répartie »8« Esprit d’à-propos, aptitude à donner la répartie. » (Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Esprit, IV, 5). qu’on met bien du temps à acquérir, autrement dit l’aisance et l’aplomb qui sont la marque de la bonne éducation.

— Le sens commun

6. Notion malaisée que le sens commun, et difficile à cerner, singulièrement pour ceux qui en sont dépourvus — alors même que le sens commun « s’apprend hors de l’école, par le jeu même de la vie »9« Peu à peu, les traditionnistes étendirent leur curiosité à tout ce qui se transmet par la tradition orale, à tout ce qui s’apprend hors de l’école, par le jeu même de la vie. » (P. Saintyves [pseudonyme d’Émile Nourry], Manuel de folklore, 1936, Paris, Librairie Émile Nourry, p. 2). quand, progressivement, les choses s’imposent à l’esprit10« Tomber sous le sens, être évident, s’imposer à l’esprit. » (Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., I. Sens, 2)..

Dans son ingénuité, le XIXe siècle y a vu la « lumière ordinaire avec laquelle naissent la plupart des gens »11Littré, Dictionnaire en ligne, Sens, 11., conception imagée qui désignait la « capacité intellectuelle naturelle et acquise »12Littré, Dictionnaire en ligne, Lumière, 11. du commun des mortels.

Aujourd’hui, on parle plus volontiers de faculté de jugement13« Le sens commun, la faculté par laquelle la plupart des hommes jugent naturellement des choses. » (Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., I. Commun, 5, loc.)., celle dont sont dotés les gens normaux : la référence à la normalité est incontournable dès lors qu’on aborde ce qui est « commun » — exit l’originalité et la bizarrerie.

7. Outre une aptitude, le sens commun s’entend d’une communauté de vues, c’est-à-dire d’une vision du monde partagée — un système de représentations et d’opinions reçues par la fraction du genre humain qui peuple un coin du monde. En conséquence, le sens commun désigne une faculté mentale autant qu’une représentation intellectuelle.

La précision est d’importance car ce sens que l’on dit commun, qu’ailleurs on envisagera sous une autre forme (le bon sens, qui relève d’avantage de l’intelligence que le sens commun, plus courant), ce sens-là — bon ou commun14« La langue ordinaire assimile bon sens et sens commun : une même faculté de juger avec pertinence des situations concrètes, une même estimation de ce qui est réel et de ce que le réel rend possible […] » (Françoise ARMENGAUD, « Sens commun », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 19 août 2022). — est certes la « faculté de comprendre les choses, de juger selon la raison »15Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., I. Sens, 2., c’est-à-dire une matrice, mais c’est également un contenu, l’ensemble des opinions formant une idéologie (les évidences d’un lieu et d’une époque), ensemble infiniment plus mouvant, moins neutre également, alors même que le sens commun se veut solide, constant, établi.

8. La capacité d’interprétation16« […] le sens commun est notre seule capacité générale à interpréter nos semblables, à la condition qu’on le comprenne en termes de perspective intentionnelle. Le sens commun est notre stratégie prédictive qui définit, grâce à la notion de croyance, nos horizons d’attente dans nos rapports de tout instant avec autrui. » (Daniel C. DENNETT, La Stratégie de l’interprète. Le sens commun et l’univers quotidien, 1987, Paris, éd. Gallimard [1990], trad. Pascal Engel, Quatrième de couverture). (le sens commun comme matrice), autant que le « système de savoirs et d’attentes »17« Concernant le monde des objets physiques, nous avons un système de savoirs et d’attentes, sorte de « physique populaire », dont on n’ignore pas qu’elle n’a plus guère à voir avec la physique scientifique. » (Ibid.). (le sens commun comme produit) mettent en œuvre une même spontanéité18« Notre univers quotidien est ainsi fait de milliers d’actes qui tous révèlent une psychologie spontanée sur laquelle nous réglons nos rapports à autrui : chacune de nos décisions, même la plus élémentaire, répond à un calcul, à une prévision en termes de désir, de croyance, d’attente, de compréhension. C’est ce que, ordinairement, on appelle le « sens commun ». » (Ibid.)., exigée par la nécessité d’agir « en direct », c’est-à-dire sans délai ni intermédiaire.

Poussée à son maximum, cette aptitude prend la forme d’un instinct — le coup d’œil19« L’intuition, dans le sens vulgaire, c’est-à-dire un coup d’œil juste pour saisir les affaires du monde, est le partage du sens commun. L’intuition pure du monde extérieur et intérieur est très rare. » (Johann Wolfgang VON GŒTHE, Maximes et réflexions, 1833, Paris, éd. Brockhaus et Avenarius [1842], p. 25). — qui constitue le cœur de compétence de certaines professions : savoir saisir instantanément et dans leur globalité une situation et ses enjeux.

9. Il n’empêche que le sens commun aujourd’hui reçu sera demain fausses croyances et vaines préventions — autres temps, autres mœurs, dit-on avec indulgence et amusement devant les égarements de ses prédécesseurs.

Le bon sens et le sens commun ne se confondent pas — ce qui est commun n’est pas nécessairement bon, pas plus que l’inverse d’ailleurs : il existe des erreurs collectives et des vérités ignorées20« Ainsi, il semble que nous devions à Bergson d’avoir mis en lumière le conflit qui peut opposer cet allié naturel de la vie qu’est le Bon Sens et cel ennemi caché que peut recéler le Sens Commun, surtout lorsque ce dernier se donne à nous sous la forme d’opinions que notre tendance innée à la facilité nous empêche de mettre en question et que nous acceplons « toutes faites ». » (Françoise FABRE-LUCE DE GRUSON, « Sens commun et bon sens chez Bergson », Revue Internationale de Philosophie, 1959, vol. 13, n° 48, pp. 187-200, spéc. p. 192). (« la majorité n’a pas toujours raison », dit un proverbe fameux). Pourtant, cette majorité (la multitude des gens « sensés ») joue un rôle essentiel en la matière…

10. Où l’on en vient à l’examen de l’adjectif qualificatif contenu dans la locution — commun. Le sens commun est ce qui fait agir des êtres différents d’une façon semblable ; du moins est-ce ce qui leur fait vouloir à peu près la même chose21« L’identité du but est la preuve du sens commun parmi les hommes ; la différence des moyens est la mesure des esprits ; et l’absurdité dans le but est le signe de la folie. » (Antoine RIVAROL, Esprit de Rivarol, 1808 [posthume], Paris, [pas d’éditeur], p. 16-17). dans une situation analogue.

Pour être commun, ce sens doit être partagé par le commun des mortels, en quoi il est accessible aux âmes simples22« C’est que la franchise native ne s’attife pas, la droiture naturelle n’ergote pas, le sens commun se passe de l’érudition artificielle. » (LAO-TZEU, Le Tao-Tei-King, dans Les pères du système taoïste, Tome 2, 1913, Ho-kien-fou (Chine) : impr. de Hien Hien, trad. Léon Wieger, chap. 81, p. 63). et dénué de toute partialité23« Il s’agit [le sens commun] d’une manière commune d’agir et de sentir, exempte de toute singularité, et qui rend concevable cette idée d’une communauté de nature intellectuelle entre les hommes, idée dont ni la logique ni la psychologie ne peuvent se passer. » (Françoise FABRE-LUCE DE GRUSON, « Sens commun et bon sens chez Bergson », op. cit., p. 191)..

Étonnante, l’étymologie insiste sur cette propriété du « commun » d’être à la charge de tous. Par conséquent, le « commun » est laissé aux bons soins de chacun24« Communis signifie littéralement « qui a même charge », et dans le sens passif « qui doit être porté également » […] » (Michel Bréal et Anatole Bailly, Dictionnaire étymologique latin, 1885, Paris, éd. Hachette, Munus, p. 206).. C’est d’autant plus vrai de ce « sens » que l’on dit commun : l’interprétation du monde — ou d’une portion du monde — est une tâche qui incombe à tous comme à chacun.

2. Les interdits

— Les limites

11. Les interdits — comme les sanctions — procèdent également du sens commun, des évidences sociales. C’est un des objets de l’éducation que d’enseigner à l’enfant ce qu’il n’a pas le droit de faire et quelle sanction il encourt raisonnablement, en cas de violation de l’interdit.

Curieusement, le verbe interdire provient des mots latins inter et dicere qui, accolés, signifient interrompre en disant puis interdire25« L’interdit dérive étymologiquement de l’ »entredire » du XIIe siècle, impliquant donc la parole échangée. » (Marie-Claire DURIEUX, Félicie NAYROU & Hélène PARAT, « Avant-propos », Interdit et tabou, 2006, Paris, éd. PUF, pp. 7-10)., au sens d’interférer dans l’action. L’interdit fait obstacle aux volontés et comportements des Hommes. C’est pourquoi il joue comme une limite — étymologiquement, une lisière, une bordure —, une frontière entre le permis, ce qui est licite, et le prohibé, ce qui est défendu.

12. L’interdit apparaît donc comme une entrave apportée au comportement des personnes, comme un empêchement qui vient frapper ceux qui veulent agir.

Cette interdiction — l’obligation de ne pas faire — est une des modalités d’action de la règle, qui ne peut jamais faire que trois choses : prescrire (obligation de faire), interdire (obligation de ne pas faire) ou autoriser (permettre de faire comme de ne pas faire).

Autrement dit, injonctions, autorisations et interdictions forment le contingent des modèles de comportement : toute attitude possible se réduit à une obligation, à une possibilité ou à une prohibition. Le lecteur a saisi l’idée.

13. Étant une règle, l’interdit est un discours sur le monde ; c’est une parole qui — formalisant des transgressions et déviances26« Pour découvrir l’horizon complet des valeurs symboliques d’une société, il faut aussi lever la carte de ses transgressions, interroger les déviances, repérer les phénomènes de rejet et de refus, circonscrire les bouches de silence qui s’ouvrent sur l’implicite et sur le savoir sous-jacent. » (Marcel DETIENNE, Dionysos mis à mort, 1977, Paris, éd. Gallimard [1998], coll. Tel, p. 8). — exprime la norme et les valeurs qui la sous-tendent. Autrement dit, toute règle — injonction, autorisation ou interdiction — dit quelque chose de la communauté qui l’a produite ; elle communique sa propre vision de la (vie en) société mais aussi de l’humanité27« Quant au domaine de l’interdit, il reste celui dont les assignations et les délimitations sont régies par l’homme pour l’homme : d’un homme soucieux d’assumer et d’assurer son organisation et sa survie dans son humanité et de se démarquer, dans la mesure du possible, de l’animalité, de la « pulsionnalité » attribuée à la bête, pour maîtriser la direction de son destin. » (Marie-Claire DURIEUX, Félicie NAYROU & Hélène PARAT, « Avant-propos », op. cit.)..

S’il importe tant que la règle soit respectée — étymologiquement, le respect est le fait de regarder en arrière, avec cette idée de tenir compte de ce qui existe déjà28« Dès à présent toutefois, l’effet indirect peut être défini en général et sommairement, comme le devoir de toute personne de tenir compte de ce qui existe en dehors d’elle et de s’abstenir éventuellement d’y porter atteinte. » (José DUCLOS, L’opposabilité. Essai d’une théorie générale, 1984, Paris, éd. LGDJ, p. 23, n° 3). —, si l’obéissance — qui se résume à une soumission29« Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. » (Étienne DE LA BOÉTIE, Discours de la servitude volontaire, 1576, Paris, éd. Bossard [1922], p. 60)., laquelle, semble-t-il, a ses bons côtés30« Quant au commandement, qui semble être si doux à exercer, si je considère la faiblesse du jugement humain et la difficulté du choix dans des choses nouvelles et d’issue incertaine, je suis tout à fait de cet avis qu’il est bien plus aisé et plus agréable de suivre que de guider et que c’est une grande tranquillité d’esprit de n’avoir à prendre qu’une voie tracée et de n’avoir à répondre que de soi. » (Michel DE MONTAIGNE, Les Essais [en français moderne], 1592, Paris, éd. Gallimard [2009], coll. Quarto, Livre I, chap. 42, p. 324). —, si la discipline est inculquée dès le plus jeune âge, c’est que la coopération sociale repose sur l’exécution assidue des règles qui l’organisent. Chacun sent bien que la suspension de l’application des normes en vigueur aboutirait au chaos généralisé, puis à l’effondrement de la société…

14. Passons sur la méconnaissance de la règle par pure inadvertance, passons sur la croyance (déraisonnable) à l’impunité, passons même sur l’ambiguïté de la norme elle-même — où commence l’obligation ? — pour envisager la désobéissance : le refus délibéré d’appliquer une règle ou d’exécuter un ordre en s’exposant sciemment à la sanction prévue.

La désobéissance comme inconséquence, la désobéissance comme émancipation, la désobéissance comme résistance31« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. » (Article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789).. C’est évidemment à la désobéissance civile que l’on pense, cette « forme d’action politique qui consiste à refuser de se plier à une prescription légale »32Albert Ogien, « La désobéissance civile peut-elle être un droit ? », Droit et société, 2015/3, n° 91, pp. 579-592, p. 580. — songez aux activistes et lanceurs d’alerte —, refus parfois très risqué qui peut aller jusqu’à l’héroïsme suprême, le sacrifice de soi.

15. La désobéissance signifie le rejet d’une prescription, soit par confort personnel, soit par engagement social. Relevant de la deuxième éventualité, la désobéissance civile — qu’en français, on devrait plutôt dire « citoyenne » —, la désobéissance citoyenne donc est la résistance à une organisation sociale jugée injuste (la paupérisation du peuple) ou pernicieuse (la destruction de la nature) — l’objection de conscience (le refus de porter les armes) en est une expression.

Par conséquent, cette désobéissance à vocation politique vise à changer la règle du jeu en la contournant33« Plaider pour la légalisation de la désobéissance civile et en faire une activité organisée et reconnue, à l’image d’un lobby, revient à ignorer sa nature ou sa vocation qui est de dévoiler les limites de la démocratie et de le faire à l’improviste, sous le coup d’une émotion, de façon sauvage. Car telle est sa nature et tel est son prix. Unique. » (Ibid., p. 592). : éluder pour ébranler, tel est son mot d’ordre. Mais tout cela reste généralement bon enfant — retourner le portrait du Président de la République ne met pas la nation en péril.

— Les tabous

16. Il n’en va pas de même du tabou qui touche à quelque chose de plus intime, partant de plus mortifère, également de plus sacré.

Si le terme est aujourd’hui utilisé à tort et à travers par l’engeance politique — toujours pour signifier que l’on n’a aucun tabou, c’est-à-dire que l’on est ouvert à la discussion, comme si l’absence de tabou était possible chez l’être normalement constitué (il faut être sans foi ni loi ou complètement fou pour n’avoir réellement aucun tabou), et alors même qu’il y a des choses dont on interdit la remise en question (les paradis fiscaux ou les jets privés) —, si le terme donc est galvaudé, c’est que le sens du sacré s’est comme évaporé, cependant que l’appétence de l’âme pour l’élévation n’a pas disparu.

17. Si l’examen du tabou figure au sein de l’étude de la règle du jeu et non parmi les manifestations du phénomène religieux, c’est que le tabou comme le sacré ne se cantonnent pas à la religion : ils concernent aussi bien le champ artistique, le champ politique et même le champ social.

Le tabou est une chose que l’on tait — le simple fait de parler du tabou réalise l’interdit —, que l’on ne doit pas faire évidemment, mais que l’on ne doit pas plus imaginer34« Le tabou n’est pas une interdiction de nommer. C’est une interdiction de concevoir qui, si elle est efficace, entraîne l’impossibilité de concevoir. » (Edgar MORIN, Le vif du sujet, 1969, Paris, éd. du Seuil, p. 116). : l’interdiction du tabou frappe l’être jusqu’aux tréfonds de son psychisme35« […] la nécessité de l’interdit ne semble pourtant pas s’enraciner exactement dans les mêmes zones du psychisme que le tabou. » (Marie-Claire DURIEUX, Félicie NAYROU & Hélène PARAT, « Avant-propos », op. cit.)..

Par conséquent, c’est une prohibition — mais la règle n’est pas clairement instituée ; le tabou n’est pas un commandement mais une inhibition36« Les restrictions tabou […] ne sont pas ramenées à un commandement divin, mais s’imposent d’elles-mêmes. » (Sigmund FREUD, Totem et tabou. Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs, 1913, Paris, éd. Payot [1965], coll. Petite bibliothèque Payot, p. 29). — qui va au-delà du modèle de comportement (action ou parole) ; le tabou régit la conscience, c’est-à-dire l’intériorité.

18. « Ce sur quoi on fait silence, par crainte, par pudeur »37Dictionnaire Le Robert [en ligne], Tabou, 2, consulté le 28 fév. 2023). : le respect du tabou ne nécessite même plus la menace de la sanction ; on est dégouté de soi-même, on se sent souillé à sa seule pensée. En ce sens, le tabou est comme un noyau dur, une boite noire qui contient tout ce qu’une société rejette — le refoulement est le mécanisme de défense face aux désirs incompatibles avec la vie en société, celle d’une société donnée.

Car s’il est universel en son principe — aucune communauté ne peut se perpétuer sans tabou —, il reste particulier en ses contours : les tabous d’hier ne sont plus les tabous d’aujourd’hui38« […] il arrive que le tabou ne s’inscrive plus dans le sacré menaçant d’où il tire ses origines et que son potentiel dangereux, terrifiant, se désamorce, le ramenant à un rôle d’interdit non coercitif, dépositaire-témoin, gardien d’une tradition respectueuse d’un passé révolu. » (Marie-Claire DURIEUX, Félicie NAYROU & Hélène PARAT, « Avant-propos », op. cit.)..

19. Selon Freud cependant, trois grands tabous semblent partout respectés : l’inceste, le cannibalisme et le meurtre39« Ces désirs instinctifs sont ceux de l’inceste, du cannibalisme et du meurtre. » (Sigmund FREUD, L’avenir d’une illusion, 1927, Paris, éd. PUF [1973], trad. Marie Bonaparte, p. 16). — il est vrai que, partout, ce genre de pratiques fait désordre.

On pourrait y ajouter l’ensemble des choses que l’on cache par sentiment de honte : la sexualité40« La sexualité est le lieu privilégié du corps où se soudent la logique de la société et celle des individus, où « s’incorporent » des idées, des images, des symboles, des désirs et des intérêts opposés. C’est aussi à partir de ce lieu de suture que s’organisent deux sortes de refoulement qui permettent à l’individu et à la société d’exister et de subsister, les deux refoulements qui s’enfouissent dans l’inconscient et jusqu’à un certain point le génèrent, le refoulement-travestissement de ce tout ce qui, dans la sexualité, n’est pas compatible avec les activités conscientes des individus et le refoulement-déguisement de tout ce qui, dans les contenus des rapports sociaux, blesse et affecte par leurs inégalités les individus et les groupes […] » (Maurice GODELIER, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie, 2008, Paris, éd. Albin Michel, coll. Bibliothèque Idées, p. 173). et la pornographie, la vieillesse et la maladie, l’impuissance et le viol, le sang — particulièrement celui des femmes, le féminin lui-même étant tabou dans le patriarcat —, le sperme et les excréments, la misère et la nudité, la religion et l’homosexualité, l’alcoolisme et la mort.

20. Primitivement, le tabou est un interdit qui trouve son fondement dans la protection du sacré41« Rigoureusement parlant, tabou comprend dans sa désignation : a) le caractère sacré (ou impur) de personnes ou de choses ; b) le mode de limitation qui découle de ce caractère et c) les conséquences sacrées (ou impures) qui résultent de la violation de cette interdiction. » (Northcote W. THOMAS, « Taboo », Encyclopædia Britannica, cité par Sigmund FREUD, dans Totem et tabou, op. cit., p. 30). (le divin, la vie, la dignité), avec cette connotation d’étrangeté ou d’inquiétude42« Pour nous, le tabou présente deux significations opposées : d’un côté, celle de sacré, consacré ; de l’autre, celle d’inquiétant, de dangereux, d’interdit, d’impur. En polynésien, le contraire de tabou se dit noa, ce qui est ordinaire, accessible à tout le monde. C’est ainsi qu’au tabou se rattache la notion d’une sorte de réserve, et le tabou se manifeste essentiellement par des interdictions et restrictions. » (Sigmund FREUD, Totem et tabou, op. cit., p. 29).. Mais dans la vie courante, on n’est guère capable d’expliquer le tabou, son origine ni sa raison43« Les prohibitions tabou ne se fondent sur aucune raison ; leur origine est inconnue ; incompréhensibles pour nous, elles paraissent naturelles à ceux qui vivent sous leur empire. » (Ibid., p. 30)..

On est même mal à l’aise, parfois indigné d’avoir à frayer avec le tabou. Par où le scandale — cette « indignation publique »44Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Scandale, II, 1. — arrive lorsque le tabou est exposé au grand jour (la lumière ne blanchit pas les souillures morales).

21. Si l’on peut décrire le sacré comme ce qui est hors de la vie ordinaire, séparé d’avec le quotidien, préservé du monde profane, comment l’articuler avec le concept de tabou ? En faisant un détour par les notions de pureté et d’impureté, c’est-à-dire par le recours à l’idée de mélange.

Est pur ce qui est vierge de toute impureté c’est-à-dire exempt d’altération, non contaminé, dépourvu d’intrusion étrangère. Ce que protège le tabou, ce sont les grandes divisions qui structurent une société : la divinité / l’humanité, le féminin / le masculin, le corps / l’esprit, etc.

On pourrait ainsi rapporter chacun des tabous énoncés à une confusion entre deux sphères distinctes, voire opposées : la famille et la sexualité (s’adonner à l’inceste), l’humain et l’animal (laisser voir son sang), la vie et la mort (toucher un défunt).

3. Les sanctions

— Les punitions

22. La sanction comme gage d’efficacité de la norme a déjà été envisagée au titre de l’ingénierie de la règle. Pour l’heure, il convient de l’aborder comme mode de régulation des pulsions — tant individuelles que collectives — et de savoir en reconnaître chaque manifestation, même la plus voilée : les vexations, moqueries et humiliations sont innombrables dans la société, souvent injustes, provoquant une amertume et une rancœur qui ne sauront s’apaiser que par la vengeance.

23. Toute sanction porte en elle un jugement moral, que ce soit celui des gens qu’on fréquente (la société) ou celui des personnes ayant qualité pour intervenir (la justice)45« […] le code moral de cette brillante société n’était plus appuyé que sur une base fragile, prête à s’écrouler ; mais il y avait encore des législateurs et des juges, les lois n’étaient point abrogées. Cette grande société, ou la bonne compagnie, ne se bornait pas à prononcer des arrêts frivoles sur le ton et les manières ; elle exerçait une police sévère très utile aux mœurs, et qui formait une espèce de supplément aux lois ; elle réprimait, par sa censure, les vices que ne punissaient pas les tribunaux, l’ingratitude, l’avarice : la justice se chargeait du châtiment des mauvaises actions, et la société de celui des mauvais procédés. » (Stéphanie Félicité DE GENLIS, Mémoires inédits, Tome II, 1825, Paris, éd. Ladvocat, p. 207-208).. Punir consiste à infliger une peine, un châtiment, en représailles d’un mauvais comportement et, idéalement, afin de corriger la personne.

Le lecteur ayant certainement été puni enfant, il sait parfaitement de quoi il retourne. Il se souvient sans doute que la « bonne » punition doit être justifiée (elle sanctionne une faute), annoncée (elle précède la faute) et proportionnée (elle se rapporte à la faute).

24. De là, on déduira qu’il existe des punitions légitimes — inhiber les désirs inopportuns — et des châtiments illégitimes — charger un bouc émissaire46« Vermut était le pâtiras [souffre-douleur] du salon de madame Soudry. Aucune société n’est complète sans une victime, sans un être à plaindre, à railler, à mépriser, à protéger. » (Honoré DE BALZAC, Les Paysans, 1855, dans Œuvres complètes de H. de Balzac, Paris, éd. A. Houssiaux [1855], Tome 18, p. 431).. Le lecteur le sait bien qui, pourtant, se rappelle ceux qu’il a subis plus que ceux qu’il a infligés. On regarde toujours les fautes que l’on commet avec plus de mansuétude que celles que l’on voit accomplir par d’autres… Il est tellement plus facile de voir la paille dans l’œil du voisin que la poutre dans le sien propre47 « Quoi ! tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? / Ou encore : Comment vas-tu dire à ton frère : “Laisse-moi enlever la paille de ton œil”, alors qu’il y a une poutre dans ton œil à toi ? / Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » (La Bible, Évangile selon Saint-Matthieu, chap. 7, versets 3-5, traduction officielle liturgique). / « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? / Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil”, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » (La Bible, Évangile selon Saint-Luc, chap. 6, versets 41-42)..

25. C’est la raison pour laquelle il est préférable que la justice soit aux mains de tiers compétents (les juges) dont on peut penser qu’ils seront impartiaux, plus impartiaux en tout cas que les parties au litige (les personnes engagées dans le conflit).

C’est pourquoi il est généralement interdit de régler ses comptes seul — comme le veut l’adage, « Nul ne peut se faire justice à soi-même. » C’est en cela, notamment, que l’État dispose du monopole de la violence physique48« L’État est l’institution qui possède, dans une collectivité donnée, le monopole de la violence légitime. […] Par contre il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé — la notion de territoire étant une de ses caractéristiques — revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. » (Max WEBER, Le savant et le politique, 1919, Paris, Union Générale d’Édition [1963], coll. Le Monde en 10-18, p. 24 puis 100-101).. C’est pour cela aussi que le juge est obligé de statuer sur le litige et de trancher le différend (on parle de prohibition du déni de justice)49« Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » (Code civil, art. 4). « Le fait, par un magistrat, toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle ou toute autorité administrative, de dénier de rendre la justice après en avoir été requis et de persévérer dans son déni après avertissement ou injonction de ses supérieurs est puni de 7 500 euros d’amende et de l’interdiction de l’exercice des fonctions publiques pour une durée de cinq à vingt ans. » (Code pénal, art. 434-7-1)..

26. Car le déni de justice aurait sur les justiciables — victimes mais également coupables — un effet désastreux. L’absence de punition — ce qu’on appelle l’impunité — nourrit le ressentiment des vertueux50« En pardonnant trop à qui a failli, on fait injustice à qui n’a pas failli. » (Baldassare CASTIGLIONE, Le livre du courtisan, 1528, Livre I, chap. 23, traduction traditionnelle). et l’arrogance des odieux51« On est vain, méprisant, et, par conséquent injuste, toutes les fois qu’on peut l’être impunément. » (Claude-Adrien HELVÉTIUS, De l’esprit, Tome I, 1758, Amsterdam et Leipzig : Arkstée et Merkus, Discours II, chap. 9, p. 105)..

N’oublions jamais que l’impunité profite aux margoulins de toutes espèces (fraudeurs, harceleurs, rançonneurs), y compris ceux de la meilleure société. C’est cela qui doit interroger : les punitions qui tombent toujours sur les mêmes (les misérables) et celles qui évitent les puissants52« Selon que vous serez puissant ou misérable, / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » (Jean DE LA FONTAINE, « Les animaux malades de la peste », Fables choisies, mises en vers par M. de La Fontaine, 1678, Paris, éd. Barbin, Troisième partie, Livre I, fable 1, p. 14).. Drôle de pluie que celle qui ne mouille que les modestes.

— Les exclusions

27. Comme la sanction, comme la punition, l’exclusion consiste en une influence subie, imposée, c’est-à-dire en une contrainte autant qu’en une violence. Mais aussi sévère soit-elle, la punition maintient dans le groupe social la personne qui en est frappée, tandis que l’exclusion la rejette hors de cette société, la force à traverser la frontière, étymologiquement à passer la clôture.

L’exclusion s’oppose à l’inclusion — terme à la mode qui, signifiant le refus des discriminations, réalise l’idéal d’égalité — et, du point de vue de l’individu, elle empêche l’insertion — mot qui dit tout : être inséré dans la société est, croit-on, preuve de valeur (d’ailleurs les gens qui réussissent pensent toujours qu’ils sont des gens bien).

28. L’exclusion — écueil majeur de la modernité (séparer, enfermer, parquer ; mur de Berlin et mur de Trump, apartheid, ségrégation et ghettos53« De la controverse de Valladolid à une certaine anthropologie, que ce soit dans l’histoire ou la préhistoire, on retrouve toujours les mêmes figures de l’exclusion, qui passent par la négation de toute humanité à l’autre. » (Pascal Picq, « L’humain à l’aube de l’humanité », in Pascal Picq, Michel Serres, Jean-Didier Vincent, Qu’est-ce que l’humain ?, Ed. Le Pommier / Universcience éditions, coll. Le collège, 2010, p. 62-63).) — est pourtant une pratique ancestrale, parfois scandaleuse (la mise à mort), parfois bénéfique (la mise en quarantaine), parfois définitive (la mise en bière), et d’une remarquable inventivité : exclusion religieuse (l’excommunication), politique (la destitution, l’éviction, l’ostracisme), immobilière (l’expulsion), territoriale (le bannissement, l’exil), sociale (la marginalisation, l’emprisonnement), affective (le rejet, la rupture), économique au sens large (le licenciement, le renvoi, la révocation).

29. Les fonctions de l’exclusion sont connues : le sacrifice du bouc émissaire, la purification (illusoire) du corps social, l’affirmation de l’identité nationale, la protection d’intérêts divers et variés, également la tentative de faire diversion, plus rarement la juste sanction de la faute consommée ou de l’impardonnable erreur.

Mais, même en ce cas, l’exclusion doit toujours interroger : veut-elle amender les coupables (les corriger, les bonifier), ou bien rassurer les honnêtes gens, ceux qui votent aux élections et paient leurs impôts ?

30. Il est vrai que les conditions de détention carcérale ne passionnent pas les foules, non plus que le sort réservé aux migrants, que les États ballottent de port en port jusqu’à ce qu’ils fassent naufrage. Et le lecteur est pris d’emportement devant ce déballage de bons sentiments car il sait bien, lui, que rien n’est jamais si simple qu’il y paraît et qu’enfin, le manège du monde a bien sa raison d’être, sans quoi l’on ferait différemment.

C’est la règle du jeu, certes — d’un jeu dangereux, dont les règles arbitraires ont été établies non par celui qui les subit (le peuple souverain) mais par ceux qui les font appliquer (les représentants du peuple).

Conclusion

31. Une fois n’est pas coutume, un résumé s’impose. Contribuant à l’organisation sociale à part égale avec le contrat social, la règle du jeu social a été présentée comme une logique d’influence, concrètement un système de normes régissant des activités de coopération, exposée comme un jeu de conventions, d’interdits et de sanctions — c’en est le versant formel.

Sur le fond, la règle du jeu n’est ni la règle (un modèle de comportement) ni le jeu (une activité de coopération du point de vue du groupe, un exercice d’intégration du point de vue de l’individu), la règle du jeu est un équilibre des contributions, le cadre des échanges économiques (activités lucratives) et symboliques (activités affectives).

32. Le respect formel dû aux règles — mais quel Français exécute un ordre sans le discuter ? —, la nécessité d’appliquer la loi ne doit jamais occulter l’utilité sociale de la règle, le but qu’elle poursuit et l’idéal qu’elle entend réaliser.

Lorsque la règle est remise en cause parce que son sens original s’est perdu, quand la règle telle qu’énoncée ne parvient plus à opérer la mise en ordre du monde qu’on est en droit d’attendre d’elle, c’est au fond des choses, et non à leur apparence qu’il faut s’attacher : retrouver dans la lettre approximative de la loi et même dans la pondération de la coutume, l’esprit qui a présidé à l’édification de l’ordre social et l’adapter aux circonstances nouvelles qui le rendent désormais obsolètes.

Références

— Usuels

— Livres

— Articles

  • Françoise ARMENGAUD, « Sens commun », Encyclopædia Universalis [en ligne].
  • Bernard CERQUIGLINI, « Compte rendu du livre de A.-J. Arnaud, Essai d’analyse structurale du Code civil français. La règle du jeu dans la paix bourgeoise », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1974, n° 3, pp. 760-762.
  • Marie-Claire DURIEUX, Félicie NAYROU et Hélène PARAT, « Avant-propos », Interdit et tabou, 2006, Paris, éd. PUF, pp. 7-10.
  • Françoise FABRE-LUCE DE GRUSON, « Sens commun et bon sens chez Bergson », Revue Internationale de Philosophie, 1959, vol. 13, n° 48, pp. 187-200.
  • Albert OGIEN, « La désobéissance civile peut-elle être un droit ? », Droit et société, 2015/3, n° 91, pp. 579-592.
  • Pascal PICQ, « L’humain à l’aube de l’humanité », in Pascal PICQ, Michel SERRES, Jean-Didier VINCENT, Qu’est-ce que l’humain ?, 2010, Paris, éd. Le Pommier / Universcience éditions, coll. Le collège.

Illustrations

  • 1
    LAROUSSE, Dictionnaire en ligne, Règle, Expressions.
  • 2
    Sur les modalités de la règle, voir la notice dévolue à l’ingénierie de la règle et, en particulier, le contenu, l’effet, l’enjeu, la fonction, la force, l’intérêt, le mécanisme, la nature, la sanction, la source, la structure et la validité de la règle.
  • 3
    « Mais, quand on est du monde, il faut bien que l’on rende / Quelques dehors civils que l’usage demande. » (MOLIÈRE, Le Misanthrope, 1666, Paris, Acte I, scène 1, vers 65-66).
  • 4
    « […] ces analyses ont fait apparaître, en retour, ce qui est aujourd’hui une banalité : l’enchevêtrement de codes que constituent nos pratiques sociales. » (Bernard CERQUIGLINI, « Compte rendu du livre de A.-J. Arnaud, Essai d’analyse structurale du Code civil français. La règle du jeu dans la paix bourgeoise », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1974, n° 3, pp. 760-762, spéc. 760-761).
  • 5
    « Convenance de ce qui se dit ou se fait avec ce qui est dû aux personnes, à l’âge, au sexe, à la condition, et avec les usages reçus, les mœurs publiques, le temps, le lieu, etc. » (Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Bienséance).
  • 6
    « […] ce qu’on est convenu de respecter, les règles de bienséance, de savoir-vivre et de conduite en usage dans un milieu donné. » (Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Convention, I, 2).
  • 7
    « Chacun a le droit d’exiger qu’on le reçoive et qu’on l’accueille avec civilité, et personne n’a absolument la liberté d’agir en tout et partout comme il lui plaît. II y a des règles qui obligent à garder un certain décorum, qui est précisément ce qu’on appelle le savoir-vivre. On ne doit point vouloir jouir de tous les avantages de la société, sans fournir son contingent. Or la vie sociale n’est que le sacrifice continuel de nos volontés, de nos caprices et de nos intérêts personnels : il faut donc, quand la circonstance l’exige, remporter sur soi-même de pénibles victoires. » (Abel GOUJON, Manuel de l’homme du bon ton ou Cérémonial de la bonne société, 1821, Paris, Audin et Parmantier, p. 31-32).
  • 8
    « Esprit d’à-propos, aptitude à donner la répartie. » (Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Esprit, IV, 5).
  • 9
    « Peu à peu, les traditionnistes étendirent leur curiosité à tout ce qui se transmet par la tradition orale, à tout ce qui s’apprend hors de l’école, par le jeu même de la vie. » (P. Saintyves [pseudonyme d’Émile Nourry], Manuel de folklore, 1936, Paris, Librairie Émile Nourry, p. 2).
  • 10
    « Tomber sous le sens, être évident, s’imposer à l’esprit. » (Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., I. Sens, 2).
  • 11
    Littré, Dictionnaire en ligne, Sens, 11.
  • 12
    Littré, Dictionnaire en ligne, Lumière, 11.
  • 13
    « Le sens commun, la faculté par laquelle la plupart des hommes jugent naturellement des choses. » (Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., I. Commun, 5, loc.).
  • 14
    « La langue ordinaire assimile bon sens et sens commun : une même faculté de juger avec pertinence des situations concrètes, une même estimation de ce qui est réel et de ce que le réel rend possible […] » (Françoise ARMENGAUD, « Sens commun », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 19 août 2022).
  • 15
    Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., I. Sens, 2.
  • 16
    « […] le sens commun est notre seule capacité générale à interpréter nos semblables, à la condition qu’on le comprenne en termes de perspective intentionnelle. Le sens commun est notre stratégie prédictive qui définit, grâce à la notion de croyance, nos horizons d’attente dans nos rapports de tout instant avec autrui. » (Daniel C. DENNETT, La Stratégie de l’interprète. Le sens commun et l’univers quotidien, 1987, Paris, éd. Gallimard [1990], trad. Pascal Engel, Quatrième de couverture).
  • 17
    « Concernant le monde des objets physiques, nous avons un système de savoirs et d’attentes, sorte de « physique populaire », dont on n’ignore pas qu’elle n’a plus guère à voir avec la physique scientifique. » (Ibid.).
  • 18
    « Notre univers quotidien est ainsi fait de milliers d’actes qui tous révèlent une psychologie spontanée sur laquelle nous réglons nos rapports à autrui : chacune de nos décisions, même la plus élémentaire, répond à un calcul, à une prévision en termes de désir, de croyance, d’attente, de compréhension. C’est ce que, ordinairement, on appelle le « sens commun ». » (Ibid.).
  • 19
    « L’intuition, dans le sens vulgaire, c’est-à-dire un coup d’œil juste pour saisir les affaires du monde, est le partage du sens commun. L’intuition pure du monde extérieur et intérieur est très rare. » (Johann Wolfgang VON GŒTHE, Maximes et réflexions, 1833, Paris, éd. Brockhaus et Avenarius [1842], p. 25).
  • 20
    « Ainsi, il semble que nous devions à Bergson d’avoir mis en lumière le conflit qui peut opposer cet allié naturel de la vie qu’est le Bon Sens et cel ennemi caché que peut recéler le Sens Commun, surtout lorsque ce dernier se donne à nous sous la forme d’opinions que notre tendance innée à la facilité nous empêche de mettre en question et que nous acceplons « toutes faites ». » (Françoise FABRE-LUCE DE GRUSON, « Sens commun et bon sens chez Bergson », Revue Internationale de Philosophie, 1959, vol. 13, n° 48, pp. 187-200, spéc. p. 192).
  • 21
    « L’identité du but est la preuve du sens commun parmi les hommes ; la différence des moyens est la mesure des esprits ; et l’absurdité dans le but est le signe de la folie. » (Antoine RIVAROL, Esprit de Rivarol, 1808 [posthume], Paris, [pas d’éditeur], p. 16-17).
  • 22
    « C’est que la franchise native ne s’attife pas, la droiture naturelle n’ergote pas, le sens commun se passe de l’érudition artificielle. » (LAO-TZEU, Le Tao-Tei-King, dans Les pères du système taoïste, Tome 2, 1913, Ho-kien-fou (Chine) : impr. de Hien Hien, trad. Léon Wieger, chap. 81, p. 63).
  • 23
    « Il s’agit [le sens commun] d’une manière commune d’agir et de sentir, exempte de toute singularité, et qui rend concevable cette idée d’une communauté de nature intellectuelle entre les hommes, idée dont ni la logique ni la psychologie ne peuvent se passer. » (Françoise FABRE-LUCE DE GRUSON, « Sens commun et bon sens chez Bergson », op. cit., p. 191).
  • 24
    « Communis signifie littéralement « qui a même charge », et dans le sens passif « qui doit être porté également » […] » (Michel Bréal et Anatole Bailly, Dictionnaire étymologique latin, 1885, Paris, éd. Hachette, Munus, p. 206).
  • 25
    « L’interdit dérive étymologiquement de l’ »entredire » du XIIe siècle, impliquant donc la parole échangée. » (Marie-Claire DURIEUX, Félicie NAYROU & Hélène PARAT, « Avant-propos », Interdit et tabou, 2006, Paris, éd. PUF, pp. 7-10).
  • 26
    « Pour découvrir l’horizon complet des valeurs symboliques d’une société, il faut aussi lever la carte de ses transgressions, interroger les déviances, repérer les phénomènes de rejet et de refus, circonscrire les bouches de silence qui s’ouvrent sur l’implicite et sur le savoir sous-jacent. » (Marcel DETIENNE, Dionysos mis à mort, 1977, Paris, éd. Gallimard [1998], coll. Tel, p. 8).
  • 27
    « Quant au domaine de l’interdit, il reste celui dont les assignations et les délimitations sont régies par l’homme pour l’homme : d’un homme soucieux d’assumer et d’assurer son organisation et sa survie dans son humanité et de se démarquer, dans la mesure du possible, de l’animalité, de la « pulsionnalité » attribuée à la bête, pour maîtriser la direction de son destin. » (Marie-Claire DURIEUX, Félicie NAYROU & Hélène PARAT, « Avant-propos », op. cit.).
  • 28
    « Dès à présent toutefois, l’effet indirect peut être défini en général et sommairement, comme le devoir de toute personne de tenir compte de ce qui existe en dehors d’elle et de s’abstenir éventuellement d’y porter atteinte. » (José DUCLOS, L’opposabilité. Essai d’une théorie générale, 1984, Paris, éd. LGDJ, p. 23, n° 3).
  • 29
    « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. » (Étienne DE LA BOÉTIE, Discours de la servitude volontaire, 1576, Paris, éd. Bossard [1922], p. 60).
  • 30
    « Quant au commandement, qui semble être si doux à exercer, si je considère la faiblesse du jugement humain et la difficulté du choix dans des choses nouvelles et d’issue incertaine, je suis tout à fait de cet avis qu’il est bien plus aisé et plus agréable de suivre que de guider et que c’est une grande tranquillité d’esprit de n’avoir à prendre qu’une voie tracée et de n’avoir à répondre que de soi. » (Michel DE MONTAIGNE, Les Essais [en français moderne], 1592, Paris, éd. Gallimard [2009], coll. Quarto, Livre I, chap. 42, p. 324).
  • 31
    « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. » (Article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789).
  • 32
    Albert Ogien, « La désobéissance civile peut-elle être un droit ? », Droit et société, 2015/3, n° 91, pp. 579-592, p. 580.
  • 33
    « Plaider pour la légalisation de la désobéissance civile et en faire une activité organisée et reconnue, à l’image d’un lobby, revient à ignorer sa nature ou sa vocation qui est de dévoiler les limites de la démocratie et de le faire à l’improviste, sous le coup d’une émotion, de façon sauvage. Car telle est sa nature et tel est son prix. Unique. » (Ibid., p. 592).
  • 34
    « Le tabou n’est pas une interdiction de nommer. C’est une interdiction de concevoir qui, si elle est efficace, entraîne l’impossibilité de concevoir. » (Edgar MORIN, Le vif du sujet, 1969, Paris, éd. du Seuil, p. 116).
  • 35
    « […] la nécessité de l’interdit ne semble pourtant pas s’enraciner exactement dans les mêmes zones du psychisme que le tabou. » (Marie-Claire DURIEUX, Félicie NAYROU & Hélène PARAT, « Avant-propos », op. cit.).
  • 36
    « Les restrictions tabou […] ne sont pas ramenées à un commandement divin, mais s’imposent d’elles-mêmes. » (Sigmund FREUD, Totem et tabou. Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs, 1913, Paris, éd. Payot [1965], coll. Petite bibliothèque Payot, p. 29).
  • 37
    Dictionnaire Le Robert [en ligne], Tabou, 2, consulté le 28 fév. 2023).
  • 38
    « […] il arrive que le tabou ne s’inscrive plus dans le sacré menaçant d’où il tire ses origines et que son potentiel dangereux, terrifiant, se désamorce, le ramenant à un rôle d’interdit non coercitif, dépositaire-témoin, gardien d’une tradition respectueuse d’un passé révolu. » (Marie-Claire DURIEUX, Félicie NAYROU & Hélène PARAT, « Avant-propos », op. cit.).
  • 39
    « Ces désirs instinctifs sont ceux de l’inceste, du cannibalisme et du meurtre. » (Sigmund FREUD, L’avenir d’une illusion, 1927, Paris, éd. PUF [1973], trad. Marie Bonaparte, p. 16).
  • 40
    « La sexualité est le lieu privilégié du corps où se soudent la logique de la société et celle des individus, où « s’incorporent » des idées, des images, des symboles, des désirs et des intérêts opposés. C’est aussi à partir de ce lieu de suture que s’organisent deux sortes de refoulement qui permettent à l’individu et à la société d’exister et de subsister, les deux refoulements qui s’enfouissent dans l’inconscient et jusqu’à un certain point le génèrent, le refoulement-travestissement de ce tout ce qui, dans la sexualité, n’est pas compatible avec les activités conscientes des individus et le refoulement-déguisement de tout ce qui, dans les contenus des rapports sociaux, blesse et affecte par leurs inégalités les individus et les groupes […] » (Maurice GODELIER, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie, 2008, Paris, éd. Albin Michel, coll. Bibliothèque Idées, p. 173).
  • 41
    « Rigoureusement parlant, tabou comprend dans sa désignation : a) le caractère sacré (ou impur) de personnes ou de choses ; b) le mode de limitation qui découle de ce caractère et c) les conséquences sacrées (ou impures) qui résultent de la violation de cette interdiction. » (Northcote W. THOMAS, « Taboo », Encyclopædia Britannica, cité par Sigmund FREUD, dans Totem et tabou, op. cit., p. 30).
  • 42
    « Pour nous, le tabou présente deux significations opposées : d’un côté, celle de sacré, consacré ; de l’autre, celle d’inquiétant, de dangereux, d’interdit, d’impur. En polynésien, le contraire de tabou se dit noa, ce qui est ordinaire, accessible à tout le monde. C’est ainsi qu’au tabou se rattache la notion d’une sorte de réserve, et le tabou se manifeste essentiellement par des interdictions et restrictions. » (Sigmund FREUD, Totem et tabou, op. cit., p. 29).
  • 43
    « Les prohibitions tabou ne se fondent sur aucune raison ; leur origine est inconnue ; incompréhensibles pour nous, elles paraissent naturelles à ceux qui vivent sous leur empire. » (Ibid., p. 30).
  • 44
    Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., Scandale, II, 1.
  • 45
    « […] le code moral de cette brillante société n’était plus appuyé que sur une base fragile, prête à s’écrouler ; mais il y avait encore des législateurs et des juges, les lois n’étaient point abrogées. Cette grande société, ou la bonne compagnie, ne se bornait pas à prononcer des arrêts frivoles sur le ton et les manières ; elle exerçait une police sévère très utile aux mœurs, et qui formait une espèce de supplément aux lois ; elle réprimait, par sa censure, les vices que ne punissaient pas les tribunaux, l’ingratitude, l’avarice : la justice se chargeait du châtiment des mauvaises actions, et la société de celui des mauvais procédés. » (Stéphanie Félicité DE GENLIS, Mémoires inédits, Tome II, 1825, Paris, éd. Ladvocat, p. 207-208).
  • 46
    « Vermut était le pâtiras [souffre-douleur] du salon de madame Soudry. Aucune société n’est complète sans une victime, sans un être à plaindre, à railler, à mépriser, à protéger. » (Honoré DE BALZAC, Les Paysans, 1855, dans Œuvres complètes de H. de Balzac, Paris, éd. A. Houssiaux [1855], Tome 18, p. 431).
  • 47
    « Quoi ! tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? / Ou encore : Comment vas-tu dire à ton frère : “Laisse-moi enlever la paille de ton œil”, alors qu’il y a une poutre dans ton œil à toi ? / Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » (La Bible, Évangile selon Saint-Matthieu, chap. 7, versets 3-5, traduction officielle liturgique). / « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? / Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil”, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » (La Bible, Évangile selon Saint-Luc, chap. 6, versets 41-42).
  • 48
    « L’État est l’institution qui possède, dans une collectivité donnée, le monopole de la violence légitime. […] Par contre il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé — la notion de territoire étant une de ses caractéristiques — revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. » (Max WEBER, Le savant et le politique, 1919, Paris, Union Générale d’Édition [1963], coll. Le Monde en 10-18, p. 24 puis 100-101).
  • 49
    « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » (Code civil, art. 4). « Le fait, par un magistrat, toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle ou toute autorité administrative, de dénier de rendre la justice après en avoir été requis et de persévérer dans son déni après avertissement ou injonction de ses supérieurs est puni de 7 500 euros d’amende et de l’interdiction de l’exercice des fonctions publiques pour une durée de cinq à vingt ans. » (Code pénal, art. 434-7-1).
  • 50
    « En pardonnant trop à qui a failli, on fait injustice à qui n’a pas failli. » (Baldassare CASTIGLIONE, Le livre du courtisan, 1528, Livre I, chap. 23, traduction traditionnelle).
  • 51
    « On est vain, méprisant, et, par conséquent injuste, toutes les fois qu’on peut l’être impunément. » (Claude-Adrien HELVÉTIUS, De l’esprit, Tome I, 1758, Amsterdam et Leipzig : Arkstée et Merkus, Discours II, chap. 9, p. 105).
  • 52
    « Selon que vous serez puissant ou misérable, / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » (Jean DE LA FONTAINE, « Les animaux malades de la peste », Fables choisies, mises en vers par M. de La Fontaine, 1678, Paris, éd. Barbin, Troisième partie, Livre I, fable 1, p. 14).
  • 53
    « De la controverse de Valladolid à une certaine anthropologie, que ce soit dans l’histoire ou la préhistoire, on retrouve toujours les mêmes figures de l’exclusion, qui passent par la négation de toute humanité à l’autre. » (Pascal Picq, « L’humain à l’aube de l’humanité », in Pascal Picq, Michel Serres, Jean-Didier Vincent, Qu’est-ce que l’humain ?, Ed. Le Pommier / Universcience éditions, coll. Le collège, 2010, p. 62-63).