Jean Gabin & Ariane Ascaride, acteurs
1. La maison
1. Fondé en 1934 à Paris par Cosette Harcourt (pseudonyme de Germaine Hirschfeld, réfugiée juive allemande qui se composa un personnage haut en couleur), par Robert Ricci (également co-fondateur de la maison de couture Nina Ricci) et les frères Lacroix (patrons de presse de leur état), le studio Harcourt s’annonce très vite comme un des plus beaux studios photographiques de l’entre-deux-guerres.
2. Aujourd’hui abrité dans un hôtel particulier sis rue de Lota, au numéro six, dans le seizième arrondissement, le studio tient du théâtre autant que de la maison de poupée : on ne sait si l’on visite les coulisses d’un opéra ou le chapiteau d’un cirque, tandis que le dernier étage présente un espace muséographique dédié aux collections de la maison.
3. Car c’est bien une maison que ce studio, c’est-à-dire une institution, « la Maison s’entendant alors, pour ceux qui lui appartiennent, comme le lieu où se transmettent des traditions et des savoirs. »1Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., V° Maison, 2. Harcourt est au portrait photographique des XXe et XXIe siècles ce que Nadar (pseudonyme du génialissime Félix Tournachon) fut au XIXe siècle : un passage incontournable pour toute célébrité qui se respecte et entend maîtriser son image.
Arletty & Jean Marais, acteurs
4. Cette marque — disons griffe s’agissant d’un établissement plus artistique que commercial — s’est imposée dans le patrimoine culturel français comme une référence : c’est le nom qui vient immédiatement à l’esprit quand on cherche un studio photographique (pour les lunettes, c’est Coffignon ; pour le champagne, Moët & Chandon ; pour le cabaret, c’est le Moulin rouge et le spectacle, c’est l’Olympia).
5. Confronté comme toute institution qui entend se perpétuer à la question de sa modernisation2« On arrive ainsi à un autre problème qui est celui de la succession. J’ai trouvé dans Elle ou Marie-Claire un magnifique article qui s’intitulait: « Peut-on remplacer Chanel ? » On s’est longtemps demandé ce qui se passerait pour la succession du général de Gaulle ; c’était un problème digne du Monde ; remplacer Chanel, c’est bon pour Marie-Claire ; en fait, c’est exactement le même problème. C’est ce que Max Weber appelle le problème de « la routinisation du charisme » : comment transformer en institution durable l’émergence unique qui introduit la discontinuité dans un univers ? Comment avec du discontinu faire du continu ? » (Pierre BOURDIEU, « Haute couture et haute culture », Questions de sociologie, 1981, Paris, éd. de Minuit [2002], coll. Reprise, pp. 196-206, spéc. p. 202)., le studio a su conserver sa patte malgré l’inévitable succession des photographes3« Le champ de la mode est très intéressant parce qu’il occupe une position intermédiaire (dans un espace théorique abstrait naturellement) entre un champ qui est fait pour organiser la succession, comme le champ de la bureaucratie où il faut que les agents soient par définition interchangeables, et un champ où les gens sont radicalement irremplaçables comme celui de la création artistique et littéraire ou de la création prophétique. On ne dit pas : « Comment remplacer Jésus ? » ou « Comment remplacer Picasso ? ». C’est inconcevable. Ici, on est dans le cas d’un champ où il y a à la fois affirmation du pouvoir charismatique du créateur et affirmation de la possibilité du remplacement de l’irremplaçable. » (Pierre BOURDIEU, « Haute couture et haute culture », Questions de sociologie, 1981, Paris, éd. de Minuit [2002], coll. Reprise, p. 203).. Chaque portraitiste qui intègre le studio doit, en effet, se mouler dans des habits qui ne sont pas les siens4« Par voie de conséquence, la photographie d’Harcourt est pour le jeune comédien un rite d’initiation, un diplôme de haut compagnonnage, sa véritable carte d’identité professionnelle. Est-il vraiment intronisé, tant qu’il n’a pas touché la Sainte Ampoule d’Harcourt ? » (Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, pp. 23-26, spéc. p. 26). — il doit faire du Harcourt — et adopter un style photographique qui existait avant lui5« Car la photographie chez Harcourt est un exercice d’humilité, une activité par définition collective où le nom de l’artiste et de l’artisan disparaît derrière celui du studio. » (Marion COCQUET, « Harcourt, (bon pied) bon œil », Le Point [en ligne], 15 février 2013). (et lui succèdera).
6. Institution dépositaire d’un savoir-faire (en la matière, le studio est comparable à l’Académie française ou au Conservatoire national des arts et métiers), la maison se distingue donc comme un conservatoire (ses murs sont recouverts de dizaines de portraits d’anthologie), comme une référence (labellisée Entreprise du patrimoine vivant, l’institution participe incontestablement de cette tradition d’excellence propre à la France6« Car notre devoir est l’excellence en toutes choses. » (Maryse CONDÉ, Les belles ténébreuses, 2008, Paris, éd. Mercure de France, p. 124).) et comme une évidence (aucun autre studio ne peut rivaliser de renommée).
Joséphine Baker, chanteuse, & Boris Vian, écrivain
2. Le portrait
7. Graal de tous les entrepreneurs, ce genre de réputation ne se bâtit pas en un jour : il faut l’installer progressivement pour qu’elle s’impose d’elle-même. L’art du portrait est la grande réussite du studio Harcourt : un « style reconnaissable entre tous »7« Initiant un style reconnaissable entre tous, Harcourt a traversé les époques en conservant une esthétique inchangée. La propension artistique du studio a marqué le genre du portrait photographique, prenant un tour d’autant plus affirmé, à l’aune du développement massif des pratiques amateurs. Il s’en dégage, au-delà d’un véritable code de représentation associé au mythe du studio, une dimension inaltérable et magique. » (Muriel BERTHOU CRESTEY, « Harcourt : ‘un brevet d’éternité’… », Le regard à facettes [en ligne], 4 juillet 2010)., combinant éclairage direct, pose étudiée et cadrage serré. Chaque photographie est retouchée à la main — il s’agit de faire un portrait flatté qui, par opposition au portrait charge, « atténue les défauts du modèle »8Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., V° Portrait, 1..
8. À l’image, la signature Harcourt s’inspire du cinéma des années trente (l’expressionnisme allemand, le rêve hollywoodien). Faisant ressortir les contrastes et aspérités de la physionomie9« Le « style » Harcourt est généralement caractérisé par des éclairages donnant de forts contrastes entre les parties sombres et les parties claires du visage. / Ce type d’éclairage donne beaucoup de caractère aux modèles. Mal contrôlé ou orienté, il s’avérerait catastrophique pour le résultat final. Heureusement, les très nombreux photographes qui se succédèrent chez Harcourt se révélèrent particulièrement experts dans l’art de manier ces éclairages directs et crus. » (Daniel CLÉMENT, « Le portrait Harcourt », Cours photophiles [en ligne], 9 juillet 2007)., la lumière souligne ou, au contraire, estompe aimablement les traits. Ainsi sculpte-t-elle les visages10« Le rêve a désormais un visage. Il est traité en clair obscur et apparaît sculpté avec précision par l’éclairage. La chaleur des projecteurs n’a pas fini de poser des touches de lumière sur certains angles ou pommettes, soulignant tel caractère des traits. L’attention aux poses, aux cadrages est systématique. » (Muriel BERTHOU CRESTEY, « Harcourt : ‘un brevet d’éternité’… », Le regard à facettes [en ligne], 4 juillet 2010)., exprimant le caractère du personnage.
9. Associé à une profondeur de champ réduite11« Pendant très longtemps, les studios HARCOURT restèrent fidèles aux lampes à filament au tungstène comme moyen d’éclairage. / Ces sources étaient relativement peu prodigues en lumière. De plus, les pellicules noir et blanc possédaient une sensibilité très faible comparée à celle des émulsions actuelles. / Ces deux impératifs obligeaient à l’usage d’ouverture de diaphragme relativement importantes. / La profondeur de champ obtenue était donc assez réduite. » (Daniel CLÉMENT, « Le portrait Harcourt », Cours photophiles [en ligne], 9 juillet 2007)., le jeu d’éclairage entre sources principale et secondaire12« Le portrait fait souvent appel à une source d’éclairage secondaire. / Chez Harcourt, un faisceau étroit dirigé sur la chevelure constitue souvent une source d’éclairage secondaire. / Il est situé en hauteur, légèrement à l’arrière de la tête et son axe est très plongeant. / Cette source secondaire permet de donner à la chevelure son modelé, sa structure ou son brillant. / Il auréole souvent ou éclaircit de lumière l’arrière de la coiffure et permet de « décoller » la tête d’un fond qui aurait, sans cet artifice, le même ton que la chevelure. » (Daniel CLÉMENT, « Le portrait Harcourt », Cours photophiles [en ligne], 9 juillet 2007). enveloppe le sujet d’un halo lumineux qui convoque un imaginaire biblique — le photographe n’a qu’à appeler la lumière pour que le modèle reçoive la grâce divine. Devenu créateur à son tour, l’artiste déclenche l’objectif et l’être est sublimé.
Rania de Jordanie, reine, & Danielle Darrieux, actrice
10. En cet instant, le modèle lui-même ne se vit plus comme une personne ordinaire — c’est la promesse Harcourt : être traité comme un prince, être choyée comme une reine, vivre une expérience hors du commun. De la séance de maquillage au rituel de la pose, le sujet est embarqué dans un univers merveilleux ; il progresse sur un chemin quasi liturgique et s’initie aux subtilités de l’artisanat photographique.
11. Expression d’un certain rapport à l’image (la pureté) et à l’apparence (l’idéal), le portrait photographique Harcourt opère une métamorphose du sujet en saisissant sa part d’intemporalité13« Car le but du modèle est bien aussi, non sans second degré parfois, de rentrer dans cette lignée d’élite qui coule de Gérard Philipe à Jean Dujardin, de BB à Leïla Bekhti, et les réunit dans le même hors-temps idéal. Des nuques inclinées, des cheveux vaporeux, des regards absents, peu ou pas d’accessoires : les modèles d’Harcourt sont parents — quelle que soit leur origine. » (Marion COCQUET, « Harcourt, (bon pied) bon œil », Le Point [en ligne], 15 février 2013). : la solennité du cliché s’inscrit dans la tradition du portrait monarchique telle qu’elle s’est perpétuée dans la représentation officielle des présidents de la République française.
12. Pure expression du goût français — rien ne saute aux yeux mais tout est parfait —, la photographie Harcourt dispense le sujet de toute référence contextuelle (rarement un accessoire rappelle le métier du modèle), abstraction très française qui vise à exprimer l’essence de la personne en extrayant sa « substantifique moelle »14François RABELAIS, Gargantua, 1534, Lyon, éd. Juste, prologue. (la sérénité vénérable de Danielle Darrieux, l’autorité affable de Louis Jouvet, la présence rayonnante d’Ariane Ascaride).
Jean Cocteau, poète, & Jean Anouilh, dramaturge.
3. La magie
13. Le sémiologue (Roland Barthes, pour ne pas le nommer15Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, pp. 23-26.) s’attache à démythifier la griffe Harcourt en dénonçant l’artificialité des clichés16« Passé de la « scène » à la « ville », l’acteur d’Harcourt n’abandonne nullement le « rêve » pour la « réalité ». C’est tout le contraire : sur scène, bien charpenté, osseux, charnel, de peau épaisse sous le fard ; à la ville, plane, lisse, le visage poncé par la vertu, aéré par la douce lumière du studio d’Harcourt. » (Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, p. 24)., qui magnifient aussi les scélérats. Si l’autrice comprend (et respecte) sa démarche, elle avoue pour sa part la fascination profonde qu’elle éprouve en s’absorbant dans l’un ou l’autre de ces portraits inspirés — bon sang, les yeux de Michèle Morgan !
14. À la contemplation des centaines de clichés qui ont fait la légende du studio, on ressent une émotion scintillante — l’émotion authentiquement belle est si rare en ce monde marchand — comme si l’on voyait défiler tout ce que le XXe siècle a compté de plus espiègle ou de plus marquant. Harcourt appartient à l’histoire de France ; ses photographies laisseront une empreinte sans égal.
15. On s’étonne, en effet, que des clichés destinés à donner l’apparence de la respectabilité17« Réduites à un visage, à des épaules, à des cheveux, les actrices témoignent ainsi de la vertueuse irréalité de leur sexe — en quoi elles sont à la ville manifestement des anges, après avoir été sur scène des amantes, des mères, des garces et des soubrettes. » (Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, p. 25). aient su inventer tout un imaginaire glamour, emprunté au monde du spectacle et de l’illusion. La magie opère et, de sujet, le modèle devient icône : l’archétype d’un personnage, la personnification d’une qualité, identifiée, reconnue, transcendée. Il y a de l’esprit dans ces portraits-là, beaucoup d’esprit et, si le mot n’était pas si grossier en une époque matérialiste, on dirait même que l’âme y affleure.
Carole Bouquet & Louis Jouvet, acteurs
16. Nadar — le célèbre photographe du XIXe siècle précité (n° 3) — avait su pour cette même raison imposer sa griffe au point de devenir, de son vivant, une légende de la photographie. Couplé à un certain sens de la psychologie (la révélation du moi profond), l’œil du peintre (la maîtrise des techniques picturales) servait une démarche artistique authentique (la composition d’une image aussi fidèle que bienveillante18« Mon cher Nadar, j’ai encore besoin de deux belles épreuves retouchées de mon grand portrait de face. Mais choisissez-les-moi bien belles. Mes enfants sont dans le ravissement de mes photographies, et ils vous remercient de les avoir faites et ils me remercient de vous les avoir fait faire. » (George SAND, Lettre à Félix Nadar, le 24 mars 1864, à Nohant, dans Correspondance par Lubin, Tome 18, 1984, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 332).). Voyez la frimousse de George Sand.
17. Dans les portraits Harcourt (même ceux des années trente), les plans rapprochés, la lumière crue et les contre-plongées façonnent des portraits objectifs — plus réalistes que romantiques, même si le merveilleux s’y invite —, portraits qui ne sont déjà plus ceux du XIXe siècle et demeurent étonnamment modernes à l’observatrice contemporaine. S’en dégage une vérité — non pas artificielle mais reconstituée ou mise en scène — qui explique tout le succès du studio.
18. Sorte de rite de passage (c’est particulièrement vrai de l’acteur19« En France, on n’est pas acteur si l’on n’a pas été photographié par les Studios d’Harcourt. » (Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, p. 23).), le portrait Harcourt marque une forme de consécration, pour le personnage public autant que l’anonyme. Outre l’indiscutable savoir-faire des photographes, c’est la contagion du prestige qui est à l’œuvre (la prestance par contact) : les célébrités photographiées donnent du crédit à l’institution dont le prestige rejaillit ensuite sur les nouveaux sujets photographiés. Certains deviendront des idoles. La puissance évocatrice du portrait Harcourt y aura contribué.
Salvador Dalí, peintre, & Charles de Gaulle, homme d’État
Références
- Le site du Studio Harcourt Paris (6 rue de lota — 75016 Paris).
- Dictionnaire de l’Académie Française, 9e éd., V° Maison & Portrait.
- Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, pp. 23-26.
- Muriel BERTHOU CRESTEY, « Harcourt : ‘un brevet d’éternité’… », Le regard à facettes [en ligne], 4 juillet 2010.
- Pierre BOURDIEU, « Haute couture et haute culture », Questions de sociologie, 1981, Paris, éd. de Minuit [2002], coll. Reprise, pp. 196-206.
- Daniel CLÉMENT, « Le portrait Harcourt », Cours photophiles [en ligne], 9 juillet 2007.
- Marion COCQUET, « Harcourt, (bon pied) bon œil », Le Point [en ligne], 15 février 2013.
- Maryse CONDÉ, Les belles ténébreuses, 2008, Paris, éd. Mercure de France.
- François RABELAIS, Gargantua, 1534, Lyon, éd. Juste, prologue.
- George SAND, Lettre à Félix Nadar, le 24 mars 1864, à Nohant, dans Correspondance par Lubin, Tome 18, 1984, Paris, éd. Classiques Garnier.
Louise Bourgoin & Leïla Bekhti, actrices
Illustrations
- Portrait de Jean Gabin, 1939, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait d’Ariane Ascaride, 2008, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait d’Arletty, 1943, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Jean Marais, 1942, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Joséphine Baker, 1940, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Boris Vian, 1948, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Rania de Jordanie, 2005, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Danielle Darrieux, 2008, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Jean Cocteau, 1937, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Jean Anouilh, 1940, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Carole Bouquet, 1995, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Louis Jouvet, 1947, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Salvador Dalí, 1936, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Charles de Gaulle, 1946, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Louise Bourgoin, 2009, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Leïla Bekhti, 2009, Studio Harcourt, Paris.
- Portrait de Simone Signoret, 1947, Studio Harcourt, Paris.
Simone Signoret, actrice
- 1Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., V° Maison, 2.
- 2« On arrive ainsi à un autre problème qui est celui de la succession. J’ai trouvé dans Elle ou Marie-Claire un magnifique article qui s’intitulait: « Peut-on remplacer Chanel ? » On s’est longtemps demandé ce qui se passerait pour la succession du général de Gaulle ; c’était un problème digne du Monde ; remplacer Chanel, c’est bon pour Marie-Claire ; en fait, c’est exactement le même problème. C’est ce que Max Weber appelle le problème de « la routinisation du charisme » : comment transformer en institution durable l’émergence unique qui introduit la discontinuité dans un univers ? Comment avec du discontinu faire du continu ? » (Pierre BOURDIEU, « Haute couture et haute culture », Questions de sociologie, 1981, Paris, éd. de Minuit [2002], coll. Reprise, pp. 196-206, spéc. p. 202).
- 3« Le champ de la mode est très intéressant parce qu’il occupe une position intermédiaire (dans un espace théorique abstrait naturellement) entre un champ qui est fait pour organiser la succession, comme le champ de la bureaucratie où il faut que les agents soient par définition interchangeables, et un champ où les gens sont radicalement irremplaçables comme celui de la création artistique et littéraire ou de la création prophétique. On ne dit pas : « Comment remplacer Jésus ? » ou « Comment remplacer Picasso ? ». C’est inconcevable. Ici, on est dans le cas d’un champ où il y a à la fois affirmation du pouvoir charismatique du créateur et affirmation de la possibilité du remplacement de l’irremplaçable. » (Pierre BOURDIEU, « Haute couture et haute culture », Questions de sociologie, 1981, Paris, éd. de Minuit [2002], coll. Reprise, p. 203).
- 4« Par voie de conséquence, la photographie d’Harcourt est pour le jeune comédien un rite d’initiation, un diplôme de haut compagnonnage, sa véritable carte d’identité professionnelle. Est-il vraiment intronisé, tant qu’il n’a pas touché la Sainte Ampoule d’Harcourt ? » (Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, pp. 23-26, spéc. p. 26).
- 5« Car la photographie chez Harcourt est un exercice d’humilité, une activité par définition collective où le nom de l’artiste et de l’artisan disparaît derrière celui du studio. » (Marion COCQUET, « Harcourt, (bon pied) bon œil », Le Point [en ligne], 15 février 2013).
- 6« Car notre devoir est l’excellence en toutes choses. » (Maryse CONDÉ, Les belles ténébreuses, 2008, Paris, éd. Mercure de France, p. 124).
- 7« Initiant un style reconnaissable entre tous, Harcourt a traversé les époques en conservant une esthétique inchangée. La propension artistique du studio a marqué le genre du portrait photographique, prenant un tour d’autant plus affirmé, à l’aune du développement massif des pratiques amateurs. Il s’en dégage, au-delà d’un véritable code de représentation associé au mythe du studio, une dimension inaltérable et magique. » (Muriel BERTHOU CRESTEY, « Harcourt : ‘un brevet d’éternité’… », Le regard à facettes [en ligne], 4 juillet 2010).
- 8Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., V° Portrait, 1.
- 9« Le « style » Harcourt est généralement caractérisé par des éclairages donnant de forts contrastes entre les parties sombres et les parties claires du visage. / Ce type d’éclairage donne beaucoup de caractère aux modèles. Mal contrôlé ou orienté, il s’avérerait catastrophique pour le résultat final. Heureusement, les très nombreux photographes qui se succédèrent chez Harcourt se révélèrent particulièrement experts dans l’art de manier ces éclairages directs et crus. » (Daniel CLÉMENT, « Le portrait Harcourt », Cours photophiles [en ligne], 9 juillet 2007).
- 10« Le rêve a désormais un visage. Il est traité en clair obscur et apparaît sculpté avec précision par l’éclairage. La chaleur des projecteurs n’a pas fini de poser des touches de lumière sur certains angles ou pommettes, soulignant tel caractère des traits. L’attention aux poses, aux cadrages est systématique. » (Muriel BERTHOU CRESTEY, « Harcourt : ‘un brevet d’éternité’… », Le regard à facettes [en ligne], 4 juillet 2010).
- 11« Pendant très longtemps, les studios HARCOURT restèrent fidèles aux lampes à filament au tungstène comme moyen d’éclairage. / Ces sources étaient relativement peu prodigues en lumière. De plus, les pellicules noir et blanc possédaient une sensibilité très faible comparée à celle des émulsions actuelles. / Ces deux impératifs obligeaient à l’usage d’ouverture de diaphragme relativement importantes. / La profondeur de champ obtenue était donc assez réduite. » (Daniel CLÉMENT, « Le portrait Harcourt », Cours photophiles [en ligne], 9 juillet 2007).
- 12« Le portrait fait souvent appel à une source d’éclairage secondaire. / Chez Harcourt, un faisceau étroit dirigé sur la chevelure constitue souvent une source d’éclairage secondaire. / Il est situé en hauteur, légèrement à l’arrière de la tête et son axe est très plongeant. / Cette source secondaire permet de donner à la chevelure son modelé, sa structure ou son brillant. / Il auréole souvent ou éclaircit de lumière l’arrière de la coiffure et permet de « décoller » la tête d’un fond qui aurait, sans cet artifice, le même ton que la chevelure. » (Daniel CLÉMENT, « Le portrait Harcourt », Cours photophiles [en ligne], 9 juillet 2007).
- 13« Car le but du modèle est bien aussi, non sans second degré parfois, de rentrer dans cette lignée d’élite qui coule de Gérard Philipe à Jean Dujardin, de BB à Leïla Bekhti, et les réunit dans le même hors-temps idéal. Des nuques inclinées, des cheveux vaporeux, des regards absents, peu ou pas d’accessoires : les modèles d’Harcourt sont parents — quelle que soit leur origine. » (Marion COCQUET, « Harcourt, (bon pied) bon œil », Le Point [en ligne], 15 février 2013).
- 14François RABELAIS, Gargantua, 1534, Lyon, éd. Juste, prologue.
- 15Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, pp. 23-26.
- 16« Passé de la « scène » à la « ville », l’acteur d’Harcourt n’abandonne nullement le « rêve » pour la « réalité ». C’est tout le contraire : sur scène, bien charpenté, osseux, charnel, de peau épaisse sous le fard ; à la ville, plane, lisse, le visage poncé par la vertu, aéré par la douce lumière du studio d’Harcourt. » (Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, p. 24).
- 17« Réduites à un visage, à des épaules, à des cheveux, les actrices témoignent ainsi de la vertueuse irréalité de leur sexe — en quoi elles sont à la ville manifestement des anges, après avoir été sur scène des amantes, des mères, des garces et des soubrettes. » (Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, p. 25).
- 18« Mon cher Nadar, j’ai encore besoin de deux belles épreuves retouchées de mon grand portrait de face. Mais choisissez-les-moi bien belles. Mes enfants sont dans le ravissement de mes photographies, et ils vous remercient de les avoir faites et ils me remercient de vous les avoir fait faire. » (George SAND, Lettre à Félix Nadar, le 24 mars 1864, à Nohant, dans Correspondance par Lubin, Tome 18, 1984, Paris, éd. Classiques Garnier, p. 332).
- 19« En France, on n’est pas acteur si l’on n’a pas été photographié par les Studios d’Harcourt. » (Roland BARTHES, « L’acteur d’Harcourt », Mythologies, 1957, Paris, éd. du Seuil [1992], coll. Points-Essais, p. 23).