De la courtoisie sur les réseaux sociaux

1. Une attitude. En ces temps d’affrontement sur la liberté d’importuner1« Lorsqu’on est sot et vain, on aime mieux importuner et déplaire que de n’être pas remarqué. » (Stéphanie Félicité DE GENLIS, Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de la cour, Tome 2, 1818, Paris, éd. P. Mongie, Singulariser (la manie de se), p. 250). et les frontières de la séduction, j’aimerais écrire quelques mots sur la courtoisie. La courtoisie qui n’est pas réservée aux rapports entre les sexes. La courtoisie qui peut même être envisagée comme une approche globale des rapports sociaux, dans la vie comme sur les réseaux. Car c’est, me semble-t-il, une attitude assez peu fréquente, visiblement en voie de disparition, alors même qu’elle est très agréable à adopter.

Être courtois, c’est s’ennoblir.

2. Une esthétique. Le dictionnaire Larousse définit la courtoisie comme une « attitude de politesse raffinée, mêlée d’élégance et de générosité ». Le Littré, plus XIXe siècle évidemment, voit dans la courtoisie « une civilité relevée d’élégance ou de générosité », la civilité s’entendant elle-même des « bonnes manières à l’égard d’autrui, des usages du monde ». Attitude, politesse, usages : la courtoisie est donc une certaine manière de faire et de dire les choses. C’est un domaine à part entière de l’art de vivre, cette esthétique dont on choisit de parer la vie quotidienne.

3. Une forme. La courtoisie est, a priori, une certaine forme, un ton, un habit dont on revêt ses opinions et ses actes. C’est véritablement un style. D’ailleurs, être courtois permet de s’ennoblir, d’où qu’on vienne, et de se forger une aristocratie personnelle. C’est aussi une manière de faire plaisir, de se rendre agréable — c’est le sens de l’expression « véhicule de courtoisie » — à travers une multitude de petits riens : l’élégance gestuelle, la prévenance, les mots choisis, la délicatesse, la bienveillance, la sollicitude… toutes choses qui ne sont ni de la sensiblerie, ni de la faiblesse.

Courtoisie n’est pas niaiserie.

4. Une utilité. Le fond ne se concevant pas hors de la forme, la courtoisie déborde le style pour irriguer le contenu : ce qu’on dit compte autant que la manière dont on le dit. Et inversement. S’exprimer sur les réseaux sociaux n’oblige pas à écrire comme un gougnafier, ni à dépasser toutes mesures, voire à parler pour ne rien dire. Je suis tombée naguère sur un post qui reprenait un article de presse traitant d’une polémique présentée comme inutile (sic). Et chaque commentateur d’y aller de son approbation : oui, c’est vraiment n’importe quoi de parler de ça. En effet. Nous devrions pouvoir collectivement nous abstenir (et ce, sans dommage) de gloser sur ce qui ne présente, de l’aveu même du relayeur et des commentateurs, aucun intérêt…

5. Une exigence. La loi de l’époque, l’air du temps sont choses surprenantes à observer. Hommes ou femmes, de part et d’autre, on se plait à agresser, à choquer pour choquer, à dire n’importe quoi. Comme si penser une chose suffisait à légitimer son expression publique. Je me garde bien, pour ma part, de dire ou d’écrire tout ce qui me passe par la tête : mes proches et mes lecteurs n’y résisteraient pas. Je fais un tri. Mais ceux qui me connaissent savent aussi que je ne suis pas du genre à planquer la poussière sous le tapis. Parler pour ne rien dire ou taire l’essentiel sont deux formes d’impolitesse.

6. Une rigueur. La courtoisie s’analyse aussi en une déclinaison du respect que l’on a, que l’on veut avoir pour son interlocuteur. Le temps de chacun est compté, si bien que la concision est — avec la structuration du propos — la première politesse que l’on doit à son lecteur. La courtoisie sur les réseaux peut, dès lors, guider trois choses :

  • ce que l’on peut dire : éviter de dire ce qui peut être blessant, ce qui est inutile, ce qui encourage les discriminations ou renforce les stéréotypes ; ne pas parler sans avoir une idée à proposer, une anecdote à partager, un conseil à donner ;
  • ce que l’on doit dire : porter sur la place publique des sujets polémiques, novateurs, ignorés des grandes entreprises ou du législateur ; se faire l’écho de ce dont on ne parle pas parce que c’est dérangeant ;
  • la manière de le dire : employer les mots justes, fluidifier son écriture, corriger les fautes, enrichir son vocabulaire, user d’images, citer de jolies phrases, être élégant.

7. Une élévation. Il faut bien comprendre que courtoisie n’est pas niaiserie. On n’est jamais ridicule pour être courtois. On est charmant ou enchanteur ; au pire est-on un peu démodé. C’est un moindre mal. L’écriture, la parole et les échanges participent d’une certaine esthétique, des couleurs ou de la tonalité qu’on veut imprimer à son environnement. Chacun d’entre nous vit dans le monde qu’il se fabrique. J’aime que le mien soit fait d’intelligence, de curiosité, d’humour et d’authenticité. D’ailleurs, qui dira qu’il existe une incompatibilité entre la vie actuelle et la courtoisie ?

8. Une chance. J’aimerais proposer — pour le XXIe siècle et les réseaux sociaux — cette approche personnelle, toute simple, de la courtoisie : une disposition de l’esprit qui incline à l’ouverture et au respect dans ses rapports avec les autres. Vivre au XXIe siècle ne condamne pas à évoluer dans un monde de médiocrité ou de méchanceté. La Fontaine aurait dit que rien ne sert de remettre l’exigence de bienveillance à demain. Entretenons dès à présent des rapports agréables et policés, des rapports empreints de sincérité, qui ne s’empêchent jamais de dire ce qui est vrai.

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    « Lorsqu’on est sot et vain, on aime mieux importuner et déplaire que de n’être pas remarqué. » (Stéphanie Félicité DE GENLIS, Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de la cour, Tome 2, 1818, Paris, éd. P. Mongie, Singulariser (la manie de se), p. 250).