« Passé l’enfance, on devrait savoir, une fois pour toutes, que rien n’est sérieux. »1Jean ROSTAND, Carnet d’un biologiste, 1959, Paris, éd. Stock, p. 24.
1. Réalité des jeux sociaux. Nous sommes de grands enfants. Nous jouons sans cesse à des jeux que nous nommons entreprise, politique, journalisme, guerre, affaires, famille, sport, art, religion. Les enfants aussi jouent à de semblables jeux2Ils jouent à la marchande ou au docteur… Tout est déclenché par l’expression « on dirait que ». « On dirait que tu serais le … et moi je serais la… », que nous disons « jeux de rôles » car ils ne correspondent pas à notre réalité. Mais des dieux qui nous observeraient diraient la même chose de nous. Nous jouons au chef de rang, à la patronne, au salarié, à la citoyenne, au père, à la petite fille. Nous nous forçons à jouer des rôles pour parvenir à nos fins. Et comme il n’existe pas de réalité alternative, nous tenons cette réalité pour seule véritable. Ainsi la Pompadour jouait-elle à la marquise comme une petite fille joue à la marchande : en y croyant.
2. Inspiration du concept. L’expression jeu social est probablement une réminiscence de mes cours de sociologie du lycée. C’est, me semble-t-il, une notion empruntée à Pierre Bourdieu, sociologue remarquable pour avoir dévoilé divers rapports de domination (masculine, sociale, politique). Les jeux sociaux sont aussi une transposition des jeux psychologiques et des passe-temps mis en lumière par Éric Berne3Éric BERNE, Des jeux et des hommes, 1984, Paris, éd. Stock.. Avant cela, concomitamment à l’invention du terme de sociologie par Auguste Comte4La quarante-septième leçon des Cours de philosophie positive (1830-1842) mentionne ce mot qui désigne la science de la statique et de la dynamique sociales (Michel LALLEMENT, « Sociologie — Histoire », Encyclopædia Universalis)., Balzac avait eu l’idée de relater la comédie humaine, qui est plus justement une comédie sociale5« Il a donc existé, il existera donc de tout temps des Espèces Sociales comme il y a des Espèces Zoologiques. » (BALZAC, Avant-propos de La comédie humaine, 1842). avec ses rôles et ses personnages.
3. Rôle des fictions. Plus tard, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss tirera de ses observations de terrain une théorie des mythes, qui sont les fictions que les Hommes s’inventent pour expliquer et régir le monde6Son approche structurale des mythes figure dans les quatre volumes des Mythologiques.. Or ces mythes ne sont pas l’apanage de la pensée sauvage7Pour reprendre le titre d’un autre de ses ouvrages, publié chez Plon en 1962. mais bien un invariant8Un invariant est, en anthropologie, quelque chose d’universel, qu’on retrouve dans toutes les cultures humaines : la parenté, la cuisine, les conflits, etc. de notre espèce. Toute coopération humaine, y compris la société moderne occidentale, se déploie dans un tissu de mythes, de fictions et de croyances9Ainsi Pierre Bourdieu qualifie-t-il l’État de « croyance organisée, [de …] fiction collective reconnue comme réelle par la croyance et devenue de ce fait réelle ». Pour lui, l’État est « le nom que nous donnons aux principes cachés, invisibles […] de l’ordre social ». « L’État est [encore] cette illusion bien fondée, ce lieu qui existe essentiellement parce qu’on croit qu’il existe. Cette réalité illusoire, mais collectivement validée par le consensus. » (Pierre BOURDIEU, Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992, 2012, Paris, éd. du Seuil).. Notre marquise de Pompadour n’était pas intrinsèquement, ni naturellement marquise. Ce titre n’était qu’un statut et un rôle artificiels, découlant de fictions c’est-à-dire d’histoires inventées par des Hommes (la monarchie et la noblesse). Mais comme tout le monde autour d’elle jouait le jeu, elle était vraiment marquise. Les rois n’existeraient pas sans les courtisans qui les flattent ni les sujets qui leur obéissent…
Le tableau ci-dessus figure trois hommes (les joueurs) qui incarnent des personnages, des cardinaux qui jouent à l’être en portant des costumes (les soutanes) et en écoutant une fiction pour adulte (la Bible). Ils n’ont pas conscience de jouer à un jeu social dont l’unique fondement est l’adhésion des autres joueurs (les croyants), un jeu qui leur confère cependant un pouvoir et une dignité réels, qui les oblige également à accomplir certaines charges (assister le Pape — le personnage principal — dans sa mission).
4. Utilité des jeux sociaux. S’ils ont leurs limites, les jeux sociaux ont d’abord une utilité, celle d’organiser la vie en société. L’humanité est une espèce éminemment sociale ; la survie des individus passe par leur étroite collaboration. Les richesses sont produites à l’échelle du groupe10Par la spécialisation des activités en professions. Certaines personnes produisent la nourriture (les agriculteurs), d’autres construisent les bâtiments (les maçons), d’autres encore transmettent le savoir aux enfants (les professeurs), etc. et chaque personne11Pas seulement les gens riches ou insérés dans la société, mais également les clochards (charité) ou les migrants (aide citoyenne). retire de la société des moyens de subsistance12Des vêtements, de la nourriture, une habitation, des objets, des services.. Toute cette organisation suppose la mise en œuvre d’une pensée sociale et symbolique. Le commerce entre les peuples, l’organisation politique ou encore les jeux olympiques n’existent pas dans la nature, pas plus que l’argent, l’industrie ni la finance. Ce sont des concepts, des abstractions, des inventions qui sont véritablement le fruit de la pensée humaine. Or ce sont ces jeux sociaux fondés sur des fictions — et non les seules avancées technologiques — qui, ayant organisé la coopération entre les Hommes13Cf. l’ouvrage de Yuval Noah HARARI, Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, 2015, Paris, éd. Albin Michel., ont permis l’émancipation de l’humanité et l’essor de la civilisation.
5. Mode d’emploi du changement. Le monde étant ce qu’il est devenu, il devient urgent de le transformer. Or changer le monde suppose d’abord et avant tout de changer la règle du jeu : adapter des jeux sociaux, en supprimer certains, en créer de nouveaux (2). Pour cela, il faut apprendre à les reconnaître quand on s’y trouve confronté, et savoir les identifier alors même qu’ils tiennent — pour l’observateur comme pour le joueur — de l’habitude ou de l’évidence (1). Il faut bien comprendre que le monde entier — la représentation que nous nous faisons de la réalité — reste une imbrication de jeux sociaux qui se complètent et se superposent. Chacun d’entre nous participe ainsi à un entrelacs de jeux sociaux qui constituent son monde, sa vie, son bocal.
Jeu social
1. Jeu video en ligne, assez basique, reposant sur des fonctionnalités de partage.
2. (Sociologie) Sorte de pièces de théâtre jouées dans la réalité par les individus.
3. (Affaires & Politique) Activité de groupe permettant aux êtres humains de coopérer afin de satisfaire leurs besoins.
Le jeu social met en scène des individus (les joueurs) qui, depuis une place, jouent des rôles et incarnent un personnage (salarié, manager, contrôleur, etc.).
1. Reconnaître un jeu social
6. Caractéristiques du jeu social. L’intérêt de cette notice est de théoriser une chose que j’ai continuellement observée depuis mon enfance, que nous pratiquons tous les jours sans nous en rendre compte et qui prend toute son importance dans la vie professionnelle : les jeux sociaux. Ces jeux sont si fréquents — dans la vie professionnelle certes, mais également dans la vie privée — que la langue française s’en fait constamment écho, prouvant ainsi que le monde est un théâtre. Nous jouons constamment, à des jeux sinistres, fertiles ou idiots. Ces jeux sont toutes les activités sociales (1.1) qui visent à la satisfaction d’un besoin déterminé (1.2) mais qui comportent, en fait, des motivations ambivalentes ou cachées (1.3). Ainsi dévoyées, ces activités de groupe peuvent s’avérer contreproductives, voire néfastes quand elles font apparaître des distorsions ou des frictions (1.4).
7. L’exemple de la réunion de travail. Prenons un exemple plus proche de la vie quotidienne que la lecture de la Bible : la réunion de travail. C’est probablement le jeu social préféré en entreprise. La réunion vise théoriquement à trouver une solution à un problème, à recueillir l’opinion de ses collaborateurs ou, en cas de conflit, à chercher une voie de conciliation. Ça, c’est le but affiché. Dans les faits, vous le savez bien, la réunion permet aux gens de s’écouter parler, de se croire importants, d’être occupés. Elle sert de prétexte en donnant l’illusion de la concertation mais, bien souvent, les supérieurs monopolisent la parole et les exécutants ne mouftent pas pour ne prendre aucun risque. Au final, on sort de la salle sans solution ou avec une pseudo solution, qui se révèlera inapplicable ou inefficace. Il suffira de convoquer une nouvelle réunion dans quelques temps et on pourra jouer à nouveau, en toute insouciance…
1.1. Une activité sociale
8. Des joueurs et des personnages. Pour que le jeu comporte une dimension sociale, il faut d’abord que les personnes en présence (les joueurs) aient un rôle à jouer. C’est évidemment le cas en entreprise où le rôle figure sur la fiche de poste. Tout comme il y avait dans les comédies de Molière des personnages-types (la soubrette, le valet, le maître, la jeune première, le cocu), il y a dans les entreprises des fonctions attitrées : les ouvriers, les comptables, les managers, les dirigeants, les commerciaux. Mais un vendeur n’est pas vendeur dans sa vie privée. Ce n’est pas l’essence de ce qu’il est. C’est simplement son rôle, sa fonction. Autrement dit, c’est le personnage qu’il interprète dans le contexte précis de son travail. Selon les circonstances de son existence, un même joueur est donc conduit à interpréter d’autres personnages (la fille, l’écolière, la stagiaire, la subalterne, la mère, la directrice, la préfète) et, ainsi, à jouer des jeux sociaux très divers.
9. Des dominants et des dominés. Tout cela serait fort plaisant si les jeux sociaux n’étaient que des jeux, s’ils ne duraient pas toujours, si les joueurs échangeaient leurs rôles de temps à autre pour incarner d’autres personnages. Mais les jeux sociaux sont généralement figés14Quelques mouvements existent cependant : l’ascension sociale ou le déclassement. et font ressortir des dominants et des dominés. Bourdieu l’a montré15« Son message central est le suivant : le jeu social, où qu’il s’exerce (quel que soit le champ que l’on observe), repose toujours sur des mécanismes structurels de concurrence et de domination. » (Laurent MUCCHIELLI, « Pierre Bourdieu et le changement social », Alternatives économiques, 1999, 175, pp. 64-67). : le jeu social est le théâtre de la concurrence et de la domination. Il produit nécessairement des gagnants et des perdants16Sachant qu’un même joueur peut être le gagnant d’un jeu (famille) et le perdant d’un autre (boulot).. C’est que le jeu social est l’expression de la vie en société. Il s’y joue beaucoup plus de choses qu’il n’y paraît : affirmation de soi, compétition sociale, quête d’appartenance, appropriation des richesses, extension d’un territoire, écrasement de l’autre.
« Quand deux individus ont des projets différents ou le même projet et qu’ils entrent en compétition pour la réalisation de ce projet, il y a un gagnant, un perdant. Il y a établissement d’une dominance de l’un des individus par rapport à l’autre. La recherche de la dominance dans un espace qu’on peut appeler le territoire est la base fondamentale de tous les comportements humains, et ceci, en pleine inconscience des motivations. »17Henri LABORIT, dans Mon oncle d’Amérique, film d’Alain RESNAIS, 1980.
1.2. La satisfaction d’un besoin
10. Une mascarade. Toutes les choses qui se jouent réellement pendant le jeu social sont généralement taboues, à l’exception d’une seule : le but affiché qui — comble du cynisme — n’est pas nécessairement le but réellement poursuivi. Souvent, le jeu social tait ce qui est vrai et dit ce qui est faux, excluant ceux qui, justement, disent vrai, ceux qui critiquent le jeu, ceux qui le révèlent18Les joueurs ont horreur qu’on leur fasse sentir qu’ils jouent. Ils ont besoin de croire que ce qu’ils font est sérieux. Pour que le jeu se déroule au mieux, les joueurs doivent donc ignorer que, précisément, ils sont en train de jouer. ou simplement ne le jouent pas19Dans ces cas, le rappel de la règle du jeu ne tarde pas. On taxe le joueur de mauvais esprit ou de mauvaise volonté.. C’est en ce sens que le jeu social est un jeu, c’est-à-dire une « fiction du faire »20Oscar BARDA, « J’ai cherché une définition du jeu pendant seize ans et j’ai enfin trouvé », Le Nouvel Obs, 2 février 2016.. Mais alors qu’un jeu, un jeu d’amusement, consiste à faire quelque chose pour de faux, le jeu social fait de la fiction le moteur de la coopération entre les êtres humains. Le jeu social raconte quelque chose de « faux » (d’artificiel) afin d’agir pour de vrai (dans la réalité). La politique et les affaires sont donc bien des jeux sociaux qui reposent sur des fictions, comme des jeux de rôles qui font mouvoir les joueurs.
11. Un moteur. Faire agir les joueurs pour qu’ils collaborent, voilà bien l’objet d’un jeu social : faire agir les joueurs en leur donnant, dans ce jeu social, un rôle qui fera d’eux des personnages, un rôle qui délimitera leur fonction et leur action dans la poursuite d’un objectif commun. La vie en société s’explique par le besoin que les joueurs ont les uns des autres. Un être humain ne peut survivre seul, il a besoin de ses congénères. C’est la complémentarité. Chacun d’entre eux produit une part des richesses communes et profite d’une (autre) part de ces richesses communes21Le boulanger du village fait le pain pour tout le village. D’autres gens du village construisent la maison qu’il habite, apprennent à ses enfants à lire, fabriquent les vêtements qu’il porte, etc.. C’est la coopération. Le rôle de chacun lui est dévolu en fonction de la place qu’il occupe dans le groupe22En effet, la coopération ne se produit pas en claquant des doigts. Pour que les gens « marchent » dans la combine — une combine qui leur sert pourtant (et les dessert sans doute tout autant) — il faut des règles et des rôles, combinés dans des jeux sociaux.. C’est une fiction. Par des fictions, les jeux sociaux font adhérer les joueurs à leur nécessaire coopération, coopération qui leur permet de satisfaire leurs nombreux besoins : assurer la sécurité, organiser le travail, produire des fers à repasser, cuisiner des repas, transporter des personnes, acheminer le courrier, etc.
Personnage
Nom masculin — du latin personna, masque (d’un acteur de théâtre) puis rôle, caractère1. Personne qui, disposant d’un statut ou d’un rôle social important, se distingue de la masse des gens ; personne à l’influence notable (synonyme de personnalité publique, de célébrité).
2. Personne représentée dans une pièce de théâtre ou un film (et jouée par un acteur), figurant dans un roman, un conte, une bande dessinée ou figurée dans une œuvre d’art (tableau, sculpture, mosaïque).
3. Par opposition au joueur, personne considérée (dans La vie sur Terre) du point de vue des rôles qu’elle joue, des jeux sociaux auxquels elle participe (travail, famille, politique).
1.3. Des motivations ambivalentes
12. Des motivations multiples. Un jeu social étant une activité de groupe, il nécessite que plusieurs personnes acceptent d’y jouer. Or ces joueurs ne voudront participer au jeu que s’il satisfait, directement ou indirectement, un de leurs besoins. Sans cela, ils n’auraient aucune raison de jouer à un jeu qui n’a de jeu que le nom. Mais ce n’est pas parce que les joueurs arrivent à se retrouver sur un objectif commun — qui est plus un consensus qu’autre chose — que tous poursuivent le même intérêt. Celui qui se fait embaucher dans une usine d’électro-ménager y rentre-t-il réellement pour fabriquer des fers à repasser ou, plus justement, pour avoir un poste à responsabilité, pour travailler près de chez lui, pour gagner sa croute, pour perpétuer une tradition familiale, pour pouvoir se marier ?
13. Des motivations imbriquées. Un jeu social (ici une entreprise) affiche un but commun (fabriquer et vendre des fers à repasser). Mais les joueurs (les ouvriers, la direction, les managers) n’y adhèrent que très partiellement, occupés qu’ils sont à poursuivre leur propre intérêt : gagner de l’argent, monter dans la hiérarchie, doper leur CV, occuper leurs journées. But commun et buts personnels s’imbriquent donc. Sachant qu’un individu a généralement plusieurs intentions, c’est en fait une kyrielle de motivations individuelles qui télescopent et déforment le but commun. On comprend donc que, chacun poursuivant ses propres intérêts, une multitude de choses se jouent, à tout instant, sur le terrain de jeu, des choses compatibles et d’autres incompatibles.
Joueur
1. Participant à un jeu quelconque ou à un sport.
2. Personne qui a la passion des jeux d’argent ou qui aime prendre des risques.
3. Personne qui pratique un instrument de musique.
4. Par opposition au personnage, personne considérée (dans La vie sur Terre) du point de vue de son essence, de son for intérieur, de son arrière-boutique, de son âme. La distinction entre joueur et personnage est centrale dans la vie sociale.
14. Des motivations cachées. Les motivations juste évoquées sont (assez) faciles à déceler et (relativement) légitimes. Mais d’autres intentions s’y mêlent fréquemment, qui peuvent très bien être ignorées du joueur lui-même. Ce sont les motivations inconscientes : conforter l’image que l’on a de soi, asseoir sa supériorité, jouer les premiers de la classe ou les trublions, séduire, faire rire, terroriser. Ce qui fait d’une activité de groupe un jeu social, c’est la multitude et l’ambivalence des motivations, des intentions, des objectifs. Il se passe plein de choses au cours d’un jeu social et toujours intervient l’image que l’on se fait des autres, celle que l’on croit devoir renvoyer, celle enfin qu’on renvoie vraiment. Le jeu pose un but commun mais les motivations de chaque joueur pour y jouer sont personnelles et, en plus, certaines sont ambiguës, cachées, iniques. On comprend bien qu’en tant que telles, elles peuvent être contraires aux intentions des autres joueurs mais également — et c’est plus problématique — au but commun, le but du jeu.
1.4. La survenance de frictions
15. Causes des dysfonctionnements. L’ambivalence des motivations est une cause importante de dysfonctionnements. On ne compte plus les entreprises ou les gouvernements qui font et défont, au gré des changements de direction, comme s’il fallait prouver sa valeur par rapport à son prédécesseur, et non par rapport aux intérêts en jeu. Personne ne peut douter que les motivations personnelles (argent, ambition, confort, sécurité) interférent avec le fonctionnement des organisations. Mais il faut y ajouter une myriade de schémas inconscients et de conditionnements : les instincts (domination et concurrence), les usages (habitudes et bienséance), les représentations (langage idiomatique et sens commun), les biais cognitifs (jugement, raisonnement, mémoire) — toutes choses que les sciences, notamment humaines, étudient mais qui ne sont pas intégrées, ou si peu, à nos modes d’organisation, de travail et d’existence.
16. Effets des dysfonctionnements. Sans surprise, de ces causes méconnues ou ignorées, naissent de nombreux effets négatifs : des conflits, des malentendus, des querelles, de la rancœur, de la jalousie, des anomalies, des retards, du gaspillage, des réclamations, des dégâts, des revendications, du mécontentement, des responsabilités, de la pollution, des scandales, etc. Il est sidérant de voir quel amateurisme se cache derrière notre apparente rationalité. Tout bardés d’études, de statistiques et de diplômes que nous sommes, nous créons constamment des surcoûts dans les organisations. Ce, d’une part, car nous écartons sciemment les coûts indirects — parfois inquantifiables il est vrai — de nos prises de décision ; ce, d’autre part, car nous ne pensons qu’en termes économiques et non sociaux, alors même que le social a toujours des répercussions économiques23Le prix d’un management détestable, c’est l’augmentation des arrêts maladie, augmentation qui coûte très cher en fin d’année à l’entreprise, mais contre laquelle on ne lutte pas..
« […] si nos technocrates prenaient l’habitude de faire entrer la souffrance, sous toutes ses formes, avec toutes ses conséquences, économiques ou non, dans les comptes de la nation, ils découvriraient que les économies qu’ils croient réaliser sont souvent de forts mauvais calculs. »24Pierre BOURDIEU, « Notre État de misère », interview par Sylvaine Pasquier, L’express, 18 mars 1993.
2. Modifier un jeu social
17. Pistes d’amélioration. Modifier un jeu social n’a d’intérêt que si c’est pour l’améliorer. Mais que signifie rendre meilleur un jeu social ? Le corriger, l’amender, l’enrichir pour le perfectionner ; redéfinir l’objectif du jeu en fonction de l’évolution de la société ; assortir l’objectif principal de quelques objectifs secondaires (valeurs à respecter) ; évaluer l’efficacité du jeu en mettant en balance, d’une part, la mission25La mission de la structure consiste à réaliser son objectif selon ses moyens sans causer de dégâts. de la structure qui porte le jeu et, d’autre part, la réalité de son activité, c’est-à-dire les résultats réellement obtenus ; assurer une meilleure cohérence entre le but du jeu (le but affiché) et sa structure interne, son fonctionnement, les règles qui le régissent.
« La sociologie ne mériterait peut-être pas une heure de peine si elle avait pour fin seulement de découvrir les ficelles qui font mouvoir les individus qu’elle observe, si elle oubliait qu’elle a affaire à des hommes, lors même que ceux-ci, à la façon des marionnettes, jouent un jeu dont ils ignorent les règles, bref, si elle ne se donnait pour tâche de restituer à ces hommes le sens de leurs actes. »26Pierre BOURDIEU, « Célibat et condition paysanne », Études rurales, n°5/6, 1962, p.109. Repris dans Le bal des célibataires, 2002, Paris, éd. du Seuil, p. 128.
18. Champ de l’amélioration. Chercher à améliorer son jeu social devrait être l’objectif de tout dirigeant, de tout gouvernant, de tout capitaine. C’est en tout cas son intérêt. Mais au-delà de ces jeux clairement délimités (une entreprise, un parti, une équipe), il y a le jeu. Ce jeu qui gouverne tous les autres prend différents visages — la nation, l’Europe, la civilisation — mais il les marque tous de son empreinte. Partout dans le monde occidental, on applique les mêmes méthodes, qui produisent les mêmes effets. Des méthodes prétendument rationnelles qui produisent des effets globalement néfastes. Qui ignore encore que le monde va mal ? Nous devons changer notre manière d’aborder les problèmes, de concevoir des solutions, de prendre les décisions. Nous devons changer notre manière de faire et de penser, en redessinant les jeux sociaux qui organisent notre coopération.
19. Processus d’amélioration. Régler les problèmes économiques, sociaux ou écologiques ne passera que par une réécriture globale des règles du jeu. Mais changer le monde — quelle expression grandiloquente ! — ne peut s’envisager que par le changement de jeux précis, ciblés, circonstanciés. Changer les relations internationales, c’est changer l’ONU ; changer la politique, c’est changer l’État ; changer la consommation, c’est changer l’entreprise. Changer. Mais changer quoi, pourquoi, comment, où et quand ? Voici la recette. Pour changer un jeu social, commencez par en fixer le vrai, le bon but (2.1). Puis, repensez-en les principaux éléments, ceux qui forment la structure du jeu (2.2). Réécrivez-en ensuite les règles, celles qui forgent et modèrent les comportements des joueurs (2.3). Enfin, adaptez l’espace-temps du jeu, aménagez ses lieux et ajustez le tempo (2.4).
2.1. Le but du jeu (pourquoi ?)
20. Le sens du jeu. C’est le but qui fait le jeu. Sans but du jeu, on n’a pas de raison de jouer puisque le but d’un jeu est précisément d’atteindre le but du jeu. De manière moins tautologique27Une tautologie est un « vice d’élocution par lequel on redit toujours la même chose. » (LITTRÉ, Dictionnaire en ligne, V° Tautologie, 1), disons que toute occupation — même improductive comme le sont l’activité ludique ou, à moindre degré, artistique — comporte, doit comporter une signification, une direction, un but. L’être humain est sensé : il n’agit de lui-même que si son action a du sens. Cette question très actuelle rejoint en fait une nécessité profonde, métaphysique de l’Homme : le besoin impérieux d’être utile. Rien ne crée plus de démotivation que d’avoir à faire, à défaire, à refaire, tel SISYPHE condamné pour l’éternité à rouler son rocher au sommet d’une montagne28HOMÈRE, L’odyssée, chant XI. Contra « Il n’y a pas d’efforts inutiles, Sisyphe se faisait les muscles. » (Roger CAILLOIS, Circonstancielles (1940-1945), 1946, Paris, éd. Gallimard).. Il ne peut y avoir de bon jeu sans bon but, c’est-à-dire sans un objectif clair, réaliste et motivant29Comparez avec l’objectif SMART : spécifique, mesurable, atteignable, réaliste et temporellement défini..
21. La compatibilité des buts. Le monde est fait d’une foule de jeux sociaux. Ce sont même un tissu de jeux sociaux, un enchevêtrement et une superposition de jeux qui font la substance du monde que nous connaissons. Chaque jeu ayant un but, la matière du monde est donc faite d’un agrégat de buts fixés, d’objectifs poursuivis dont rien n’assure qu’ils ne sont pas contradictoires. Les buts des jeux Monsanto et Greenpeace sont-ils compatibles ? Si tel n’est pas le cas, qui arbitre, comment, pourquoi ? Y-a-t-il seulement quelqu’un ou quelque chose qui arbitre ? Dans le cas contraire, suffirait-il de changer et/ou de fédérer nos buts du jeu ? Autant de questions que nous ne nous posons pas ou mal, en tout cas pas en ces termes. Il serait temps, pourtant, de calmer le jeu tant il chahute l’ordre du monde.
22. Le bon but. On lit entre les lignes que, pour un jeu social, le bon but est celui qui réalise, accompagne ou prolonge l’intérêt général, du moins un intérêt généraliste ou généralisé (l’intérêt d’une entreprise, celui d’une communauté d’agglomération ou encore l’objet d’une institution, telle que le studio Harcourt). Un bon but fédère. Il fédère des joueurs, ceux qui jouent déjà le jeu, et il incite de nouveaux joueurs à venir le rejoindre. Ce but est une direction à suivre et un objectif à atteindre, deux choses qui ne trouvent leur sens que par rapport à la situation de départ et aux règles du jeu. Le bon but est celui qui motive les participants, qui les réunit malgré leurs différences et qui ne crée pas de tensions à l’extérieur du jeu. Par là, j’entends que le but du jeu doit être utile, légal et légitime.
23. Les buts des joueurs. Ce conseil s’adresse aux concepteurs ou maîtres du jeu, s’ils veulent voir leur jeu perdurer. Pour le joueur, c’est différent. Chacun est libre de participer au jeu de son choix, pourvu qu’il en remplisse les conditions d’accès. Mais sa motivation à jouer ne se confond pas nécessairement avec le but du jeu. D’ailleurs, on ne demande pas réellement au joueur d’adhérer au but du jeu, juste de faire mine de le poursuivre. Quels sont les joueurs qui travaillent dans une usine d’électro-ménager, d’abord et avant tout, pour fabriquer des fers à repasser ? C’est que le but du personnage ne coïncide pas nécessairement avec celui du joueur. Le but du personnage est sa fonction (sa fiche de poste, son mandat électoral), c’est-à-dire son rôle dans la poursuite du but du jeu (produire des biens, voter la loi). Le but du joueur est, en revanche, sa motivation personnelle à jouer (l’argent, le prestige, la sécurité).
« On appelle jeu tout procès [processus] métaphorique résultant de la décision prise et maintenue de mettre en œuvre un ensemble plus ou moins coordonné de schèmes consciemment perçus comme aléatoires pour la réalisation d’un thème délibérément conçu comme arbitraire. »30Jacques HENRIOT, Sous couleur de jouer : la métaphore ludique, 1989, Paris, éd. José Corti, p. 300.
2.2. Les éléments du jeu (quoi ?)
24. La structure du jeu. Un bon but — l’idée de l’entreprise que l’on crée, le projet du parti que l’on fonde — est un bon début. Mais l’objectif n’est rien sans les moyens de l’atteindre. Ce qui fait le bon jeu social, c’est une bonne structure de jeu, c’est-à-dire à la fois un cadre bien posé et une organisation fluide. Il faut qu’il y ait une adéquation et une cohérence entre tous les éléments du jeu. Or un jeu, y compris social, comporte un certain nombre d’éléments incontournables :
- une situation initiale (la case départ) et une situation d’arrivée (le but du jeu), qui déploient une certaine temporalité,
- des joueurs (qui incarnent différents types de personnages, s’échelonnant dans une verticalité hiérarchique et auxquels sont dévolus, par catégorie, un rôle particulier),
- un plateau de jeu (le cadre spatial — bâtiments, lieux et voies — dans lequel le jeu se déroule),
- du matériel de jeu (les équipements, les matières premières, les machines),
- et une certaine prise en compte du hasard : dans un jeu de plateau, c’est le rôle joué par les dés ; dans la vie, c’est l’incertitude liée aux actions et réactions des concurrents, des régulateurs, du public, voire des collaborateurs en cas d’erreur.
25. L’intelligence du jeu. Pour être efficient, un jeu social doit être pensé comme une structure, un système dont les parties s’emboîtent les unes dans les autres. Imaginez un Rubik’s Cube que vous tournez ou des dominos que vous faites tomber en cascade. Ainsi en est-il de votre jeu social : un tout indivisible, au succès duquel concourent tous les éléments. Un jeu social ne peut être réussi que s’il réalise le juste équilibre entre le but et les éléments du jeu. Il ne suffit pas que le jeu comporte un but utile31D’ailleurs c’est une manière de trouver des idées d’entreprises ou de projets : y a-t-il des buts sociaux qui soient négligés ou délaissés ? ; encore faut-il que le jeu « traite » bien le but, au sens où un livre traite un sujet, qu’il mette en place les conditions nécessaires pour atteindre le but du jeu.
26. L’évaluation du jeu. Il faut donc que le jeu se dote des bons moyens et qu’il les utilise à bon escient. Dans ces conditions, savoir quels éléments du jeu doivent être changés ou améliorés n’est pas compliqué : il n’y a qu’à identifier les dysfonctionnements du jeu et à en rechercher les causes32La méthode figure de manière plus détaillée dans le manuel universel.. Ne perdez pas de vue qu’en tant qu’elles demandent un effort, la création d’un jeu social ou la participation à un jeu social représentent un investissement, en temps et/ou en argent. Le but du jeu et le but du joueur sont donc le retour sur investissement attendu, l’un pour le concepteur du jeu, l’autre pour le joueur. La question à se poser est claire : le jeu en vaut-il la chandelle ?
« ‘Entrer dans la vie’, comme on dit, c’est accepter d’entrer dans l’un ou l’autre des jeux sociaux socialement reconnus, et d’engager l’investissement inaugural, à la fois économique et psychologique, qui est impliqué dans la participation aux jeux sérieux dont est fait le monde social. »33Pierre BOURDIEU, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Éditions du Seuil, 1992, p. 32.
2.3. Les règles du jeu (comment ?)
27. Les règles du jeu. « Aucun jeu ne peut se jouer sans règles. »34Václav HAVEL, Méditations d’été, 1998, La Tour d’Aigues, éd. de l’aube, coll. Regards croisés. Voilà une évidence qu’il n’est pas inutile de rappeler, tant l’on voit de concepteurs ou de maîtres de jeux sociaux (dirigeants, managers, parents, fabricants) qui ne croient pas devoir expliquer aux participants (salariés, collaborateurs, enfants35Éduquer ses enfants revient précisément à leur transmettre des règles et des repères pour qu’ils puissent exister dans le monde., consommateurs) ce qu’ils sont censés faire. Tout jeu fixe simultanément un but à atteindre et les règles à suivre pour l’atteindre ; ce sont les conditions de la « victoire ». La difficulté est que, dans un jeu social, généralement, les règles ne sont pas données. Elles sont tacites, implicites, elles épousent le sens commun, elles répercutent les évidences qui font la comédie sociale. Il y a beaucoup de non-dits dans les structures et c’est souvent pourquoi elles connaissent des difficultés. Car les non-dits font naître des malentendus et, bientôt, des conflits.
28. Mécanique de la règle. Une règle est un énoncé qui attache certaines conséquences à un comportement particulier36Plus exactement à un comportement (faire ou donner) ou à une absence de comportement (ne pas faire).. C’est une action assortie d’une réaction, une condition dont découle un effet. Dans chaque structure, coexiste une multitude de règles d’origine et de force diverses37Les pratiques, les modes, les usages, les obligations juridiques, les réflexes opérationnels, etc.. L’origine de la règle renvoie à sa source, à l’entité qui l’a édictée38Le législateur, la DRH, le manager, la société. et conditionne donc son caractère impératif. La force de la règle, quant à elle, résume son efficacité, c’est-à-dire notamment la nature de la sanction — que se passe-t-il si la règle est violée ? — et la probabilité que la sanction tombe en cas de violation. Indépendamment de la sanction, la facilité à respecter la règle (ce qui est toujours confortable moralement) et son utilité perçue par le joueur concerné vont influencer le degré d’application de la règle au quotidien. On peut résumer toutes ces considérations en une question : comment faire pour que la règle fixée soit appliquée ?
Exemples de règles :
(1) L’utilisation d’anglicismes donne des apparences de sérieux.
Source : mode. Sanction : dédain. Force : moyenne.(2) À la cantine, on fait la queue pour se servir.
Source : usage. Sanction : engueulade. Force : importante.(3) Les salariés doivent bénéficier d’un repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives.
Source : loi. Sanction : dommages et intérêts. Force : variable39La sanction suppose que le salarié saisisse le Conseil de prud’hommes..(4) En politique, la prise de décision suppose la consultation de conseillers.
Source : pratique. Sanction : discrédit. Force : faible.
29. Écrire les règles. La nature a horreur du vide : que vous les posiez ou non, de nombreuses règles régiront votre jeu social et indiqueront ce qui est juridiquement, politiquement, socialement, économiquement interdit ou autorisé, ce qui est encouragé et ce qui est découragé. Dans toute structure, l’édiction de règles — le fait de les instituer ou simplement de les révéler — doit être un préalable. Mais ça ne suffit pas. Il faut encore que ces règles soient cohérentes entre elles, qu’elles aillent toutes dans le même sens, qu’elles ne se contredisent pas mutuellement, du moins pas sans que des bornes n’aient été fixées : la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.
30. L’expérience de jeu. La cohérence des règles correspond à ce qu’on appelle — dans l’univers ludique — le « gameplay », c’est-à-dire l’expérience de jeu, le ressenti des joueurs. On peut définir le gameplay40Pour comprendre et rédiger vos règles, vous consulterez à profit la page Principe de classification du site Game classification. — et c’est essentiel pour votre jeu social — comme « un ensemble de règles de jeu définissant des objectifs à accomplir associées à d’autres règles de jeu spécifiant des moyens et des contraintes pour atteindre ces objectifs »41Julian ALVAREZ et Damien DJAOUTI, « Le gameplay comme critère de classification », Ludoscience [en ligne], 2006.. Il en découle que tout jeu — y compris social — fait naître un univers constitué de règles qui s’appliquent à des éléments42Qu’on appelle des « briques » dans l’analyse du jeu : éviter, atteindre, détruire, créer, gérer, déplacer, aléatoire, choisir, tirer, écrire., dont la jouabilité — en affaires ou en politique, on parle d’efficacité — dépend de la fluidité. Plus les règles sont claires, cohérentes et faciles à appliquer, plus la structure fonctionne bien. L’univers de jeu façonné par ces règles contribue à forger l’espace-temps dans lequel se déploie la partie.
2.4. L’espace-temps du jeu (où et quand ?)
31. Le cadre du jeu. Le jeu est une institution limitée : limitée aux joueurs, limitée dans l’espace, limitée dans le temps. Cette triple limite, à laquelle il faut ajouter le but à atteindre, les contraintes à respecter et les règles de fonctionnement, forment le cadre de jeu. Or la structure formelle du jeu — l’ensemble des règles du jeu concourant à la réalisation du but du jeu — doit être conçue pour créer une certaine signification (voir n° 3 et n° 10-11). Dès lors, le cadre du jeu doit venir soutenir sa substance (la signification du jeu) et donner corps au monde du jeu, à l’univers créé par lui. En d’autres termes, le jeu doit apparaître comme séparé du reste du monde. À lui seul, le jeu doit constituer un monde — pour que les joueurs soient fiers d’y appartenir et qu’ils aient envie d’y jouer chaque jour.
32. L’espace-temps du jeu. Ludique ou social, le jeu est enfermé dans des limites spatiales et temporelles. Tout n’est pas le jeu, tout n’est pas dans le jeu. Sur le plan temporel, il y a un avant et un après jeu. Sur le plan spatial, il y a le dedans et le dehors du jeu. Dans ces limites, qui bornent son univers, tout jeu s’approprie le temps et l’espace. Les nécessités du jeu marquent nécessairement de leur empreinte l’espace-temps du jeu ; les règles du jeu engendrent une temporalité et une spatialité propres. Or, le rythme du jeu et sa géographie intérieure vont façonner l’expérience du joueur. Le temps et l’espace du jeu doivent donc être véritablement pensés et aménagés.
Exemples d’espace-temps :
(1) Le jeu « agriculture céréalière » se déroule sur des champs délimités, au rythme des saisons.
(2) Le jeu « élection présidentielle » se joue, en France, tous les cinq ans, dans les médias.
(3) Le jeu « vente de prêt-à-porter » se passe, pour la fabrication des vêtements, dans certains pays et, pour leur commercialisation, dans d’autres ; les saisons et les soldes donnent le tempo du jeu.
33. L’avant jeu. La période d’avant le jeu précède sa création, c’est-à-dire qu’elle se déroule en amont de la conception du produit ou du service, de la fondation du parti ou de l’entreprise, de l’adoption d’une nouvelle Constitution, d’un changement de régime politique ou d’une réforme fiscale. Elle pose notamment une question : comment faisait-on avant le jeu ? C’est particulièrement vrai pour les joueurs qui ont pris la partie en cours (puisque par exemple tous les salariés ne sont pas embauchés lors de la fondation d’une entreprise). C’est aussi une question toute simple pour aider à identifier le positionnement d’une entreprise ou le caractère véritablement innovant d’un produit.
34. L’après jeu. L’après jeu, lui, intervient après la disparition de l’entreprise ou du produit, la liquidation de la société et de son patrimoine, la cessation des activités, l’effondrement d’une civilisation. L’après jeu figure, par exemple, l’héritage historique d’un mouvement, les transformations apportées à la société par une innovation ou les racines latines de la langue française. Il pose une question qui résonne comme le pendant de la question précédente : qu’est-ce que le jeu a changé ? Aura-t-il modifié des pratiques, ajouté à la culture, écarté de meilleures solutions ? Bref, en quoi aura-t-il (positivement ou négativement) changé le monde ?
35. Les temps du jeu. Entre l’avant et l’après, il y a le temps du jeu, sa temporalité propre faite de tâches et de rendez-vous, de périodes et de cycles. Lui imprimant un mouvement, la temporalité du jeu lui confère aussi un certain rythme. Les temps du jeu — temps forts ou temps quotidien — créent la dynamique du jeu et, par conséquent, l’enthousiasme des joueurs. Les religions sont vraiment un exemple à suivre en matière d’appropriation du temps. La survenance des fêtes religieuses, tout comme l’alternance de périodes fastes et ordinaires sont des stimulants pour les joueurs : l’écoulement du temps les porte. Les prières quotidiennes, par leur répétition, servent de repères et, du même coup, ancrent la croyance dans le cœur du pratiquant. En affaires ou en politique non plus, les grands messes et petits rituels ne sont pas à négliger pour fédérer une communauté de joueurs.
36. L’espace de jeu. Symétriquement, l’espace de jeu, l’aménagement des locaux et l’optimisation des trajets jouent leur rôle dans l’expérience de jeu. La spatialité du jeu, c’est-à-dire son déploiement dans l’espace, reste essentielle. L’ergonomie des locaux et la qualité de l’outillage conditionnent évidemment l’efficacité du jeu tout comme la fluidité de ses activités. Mais la symbolique des lieux et des objets n’a rien perdu de son charme. Regardez quels bâtiments abritent les Apple Store43Pascal LARDELLIER, « Un anthropologue à l’Apple Store », Questions de communication, 23 | 2013, 121-144.et quels lieux ces magasins sont devenus44Les Apple Store — qui restent des boutiques — sont, en apparence du moins, dépourvus des attributs classiques des boutiques (caisses, rayons, vendeurs) et se structurent autour de lieux alternatifs (genius bar, studio, théâtre).. C’est que l’espace de jeu contribue très largement à l’esthétique du jeu. La spatialité du jeu ne se limite d’ailleurs pas aux espaces physiques (les lieux, les décors, les trajets). Elle intègre également des espaces mentaux (les réseaux, les médias, les fictions) qui sont le fruit de la symbolique et de la communication45Les valeurs ou les emblèmes (le crocodile Lacoste).. Occuper l’espace, un espace qui soit cohérent avec le jeu, être présent sur tout son territoire sont autant de besoins impérieux pour tout jeu social qui veut s’imposer comme étant incontournable. Il faut que partout où l’on s’attend à trouver votre jeu, il s’y trouve.
Conclusion : changer la règle du jeu
37. L’organisation sociale est structurée autour de récits et d’activités pouvant s’analyser en des jeux sociaux, dont la particularité est de mettre en œuvre d’autres motivations que les objectifs affichés et des enjeux beaucoup plus complexes. Ainsi les êtres humains jouent-ils constamment, voire simultanément — bien qu’en toute inconscience — à des jeux sociaux. En ignorant l’existence, ils en ignorent également les règles. Mais ces règles du jeu existent bel et bien et peuvent être dévoilées. C’est évidemment la raison d’être de cette ambition intellectuelle pour le XXIe siècle : l’écriture de la règle du jeu.
38. Les jeux sociaux — ces jeux de rôle très sérieux qui sont la texture des mondes dans lesquels nous vivons — sont nécessaires à l’humanité car ils permettent d’organiser la vie sociale (production et répartition des richesses) et donnent du sens aux destins individuels. Mais des motivations ambiguës, des intérêts divergents ou de simples malentendus peuvent conduire à des effets contre-productifs (erreurs, gaspillages, mal-être). D’où l’intérêt de (ré)évaluer l’utilité et la pertinence des jeux sociaux que vous pratiquez, notamment si vous en êtes responsable (famille, entreprise, équipe de sport, etc.).
« Telle est, réduite à l’essentiel, l’argumentation d’un Huizinga [historien néerlandais ayant proposé une théorie du jeu], quand il dérive de l’esprit de jeu la plupart des institutions qui ordonnent les sociétés ou des disciplines qui contribuent à leur gloire. Le droit rentre sans conteste dans cette catégorie : le code énonce la règle du jeu social, la jurisprudence l’étend aux cas litigieux, la procédure définit la succession et la régularité des coups. Des précautions sont prises pour que tout se passe avec la netteté, la précision, la pureté, l’impartialité d’un jeu. »46Roger CAILLOIS, Les jeux et les hommes. Le masque et le vertige, Gallimard, introduction.
39. Pour les critiquer, commencez par comparer l’objectif théorique du jeu en question et ses résultats concrets. Vous ferez nécessairement apparaître des écarts entre les deux, qui doivent être vus comme des pistes d’amélioration. Ces écarts peuvent en effet être comblés par un peu de créativité. Car c’est bien de cela que le monde actuel meurt à petit feu, de notre manque d’inventivité, d’imagination et de créativité — d’inventivité sociale, d’imagination intellectuelle, de créativité politique.
40. Les drames de l’humanité viennent de ce que nous jouons des jeux de dupes. Nous vivons dans un monde de « on dirait que » (voir n° 1, note 2) qui guident nos pas et commandent nos actions, comme si ces « on dirait » étaient naturels, intangibles, indéboulonnables. L’humanité ne pourra s’affranchir de ses pulsions, de ses erreurs et de son agressivité qu’en prenant conscience que les jeux auxquels elle joue inconsciemment à longueur de temps sont contraires à ses intérêts. Je rêve du jour où partout, en tous lieux, à tous les niveaux, nous prendrons collectivement la responsabilité de (ré)évaluer les jeux sociaux. Je rêve de ce jour, peut-être pas si lointain, où les peuples du monde décideront qu’il est temps de (ré)écrire la règle du jeu.
« Quand rien ne va plus, il faut tout changer. C’est une loi de la nature. »47Claude CHABROL, interview « La leçon de cinéma de Claude Chabrol. 3 séquences commentées », à propos du film Rien ne va plus, 1997, bonus du DVD, MK2.
Références
— Articles
- « Jeux sociaux et social game définition », L’Agence 1984, désormais indisponible.
- Julian ALVAREZ et Damien DJAOUTI, « Le gameplay comme critère de classification », Ludoscience, 2006.
- Oscar BARDA, « J’ai cherché une définition du jeu pendant seize ans et j’ai enfin trouvé », Le Nouvel Obs, 2 fév. 2016.
- B. BATHELOT, « Définition : jeu social », Définitions marketing, 28 juil. 2015.
- Pierre BOURDIEU, « Célibat et condition paysanne », Études rurales, n°5/6, 1962, p. 109. Repris dans Le bal des célibataires, 2002, Paris, éd. du Seuil, p. 128.
- Pierre BOURDIEU, « Notre État de misère », interview par Sylvaine Pasquier, L’express, 18 mars 1993.
- Valérie DEBRUT, Comment (ré)écrire la règle du jeu, Notices, 17 janv. 2018.
- Valérie DEBRUT, Le manuel universel, Notices, 19 août 2020.
- Ludovic GAUSSOT, « Le jeu de l’enfant et la construction sociale de la réalité », Spirale (revue), 2002/4 (no24), p. 39-51.
- Michel LALLEMENT, « Sociologie — Histoire », Encyclopædia Universalis.
- Pascal LARDELLIER, « Un anthropologue à l’Apple Store », Questions de communication, 23 | 2013, 121-144.
- LUDOSCIENCE, « Game Classification : Principe de classification », Game classification [en ligne].
- Laurent MUCCHIELLI, « Pierre Bourdieu et le changement social », Alternatives économiques, 1999, 175, pp. 64-67.
— Livres
- Honoré de BALZAC, « Avant-propos », La comédie humaine, 1842.
- Éric BERNE, Des jeux et des hommes, 1984, Paris, éd. Stock.
- Pierre BOURDIEU, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, 1992, Paris, éd. du Seuil.
- Pierre BOURDIEU, Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992, 2012, Paris, éd. du Seuil.
- Roger CAILLOIS, Circonstancielles (1940-1945), 1946, Paris, éd. Gallimard.
- Yuval Noah HARARI, Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, 2014, Paris, éd. Albin Michel.
- Václav HAVEL, Méditations d’été, 1998, La Tour d’Aigues, éd. de l’aube, coll. Regards croisés.
- Jacques HENRIOT, Sous couleur de jouer : la métaphore ludique, 1989, Paris, José Corti.
- HOMÈRE, L’odyssée, VIIIe s. av. J.-C., Grèce antique, chant XI.
- Claude LÉVI-STRAUSS, Les Mythologiques, 1964-1971, Paris, éd. Plon (Tome I : Le Cru et le cuit, 1964. Tome II : Du miel aux cendres, 1967. Tome III : L’Origine des manières de table, 1968. Tome IV : L’Homme nu, 1971.).
- Jean ROSTAND, Carnet d’un biologiste, 1959, Paris, éd. Stock, p. 24.
— Films
- Claude CHABROL, interview « La leçon de cinéma de Claude Chabrol. 3 séquences commentées », à propos du film Rien ne va plus, 1997, bonus du DVD, mK2.
- Henri LABORIT, dans Mon oncle d’Amérique, film d’Alain RESNAIS, 1980.
Illustrations
- Georges CROEGAERT, Un passage intéressant, 1900, coll. particulière.
- Henri Adolphe LAISSEMENT, Cardinaux dans une antichambre au Vatican, 1895, coll. particulière.
- Jehan Georges VIBERT, Peint par lui-même, fin XIXe, coll. particulière.
- Andrea LANDINI, Les joyeux prélats, fin XIXe – début XXe, coll. particulière.
- Jehan Georges VIBERT, Le comité des œuvres morales, 1866, coll. particulière.
- Jehan Georges VIBERT, La merveilleuse sauce, vers 1890, Albright-Knox Art Gallery, New York.
- François BRUNERY, Un rassemblement éminent, date inconnue, coll. particulière.
- 1Jean ROSTAND, Carnet d’un biologiste, 1959, Paris, éd. Stock, p. 24.
- 2Ils jouent à la marchande ou au docteur… Tout est déclenché par l’expression « on dirait que ». « On dirait que tu serais le … et moi je serais la… »
- 3Éric BERNE, Des jeux et des hommes, 1984, Paris, éd. Stock.
- 4La quarante-septième leçon des Cours de philosophie positive (1830-1842) mentionne ce mot qui désigne la science de la statique et de la dynamique sociales (Michel LALLEMENT, « Sociologie — Histoire », Encyclopædia Universalis).
- 5« Il a donc existé, il existera donc de tout temps des Espèces Sociales comme il y a des Espèces Zoologiques. » (BALZAC, Avant-propos de La comédie humaine, 1842).
- 6Son approche structurale des mythes figure dans les quatre volumes des Mythologiques.
- 7Pour reprendre le titre d’un autre de ses ouvrages, publié chez Plon en 1962.
- 8Un invariant est, en anthropologie, quelque chose d’universel, qu’on retrouve dans toutes les cultures humaines : la parenté, la cuisine, les conflits, etc.
- 9Ainsi Pierre Bourdieu qualifie-t-il l’État de « croyance organisée, [de …] fiction collective reconnue comme réelle par la croyance et devenue de ce fait réelle ». Pour lui, l’État est « le nom que nous donnons aux principes cachés, invisibles […] de l’ordre social ». « L’État est [encore] cette illusion bien fondée, ce lieu qui existe essentiellement parce qu’on croit qu’il existe. Cette réalité illusoire, mais collectivement validée par le consensus. » (Pierre BOURDIEU, Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992, 2012, Paris, éd. du Seuil).
- 10Par la spécialisation des activités en professions. Certaines personnes produisent la nourriture (les agriculteurs), d’autres construisent les bâtiments (les maçons), d’autres encore transmettent le savoir aux enfants (les professeurs), etc.
- 11Pas seulement les gens riches ou insérés dans la société, mais également les clochards (charité) ou les migrants (aide citoyenne).
- 12Des vêtements, de la nourriture, une habitation, des objets, des services.
- 13Cf. l’ouvrage de Yuval Noah HARARI, Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, 2015, Paris, éd. Albin Michel.
- 14Quelques mouvements existent cependant : l’ascension sociale ou le déclassement.
- 15« Son message central est le suivant : le jeu social, où qu’il s’exerce (quel que soit le champ que l’on observe), repose toujours sur des mécanismes structurels de concurrence et de domination. » (Laurent MUCCHIELLI, « Pierre Bourdieu et le changement social », Alternatives économiques, 1999, 175, pp. 64-67).
- 16Sachant qu’un même joueur peut être le gagnant d’un jeu (famille) et le perdant d’un autre (boulot).
- 17Henri LABORIT, dans Mon oncle d’Amérique, film d’Alain RESNAIS, 1980.
- 18Les joueurs ont horreur qu’on leur fasse sentir qu’ils jouent. Ils ont besoin de croire que ce qu’ils font est sérieux. Pour que le jeu se déroule au mieux, les joueurs doivent donc ignorer que, précisément, ils sont en train de jouer.
- 19Dans ces cas, le rappel de la règle du jeu ne tarde pas. On taxe le joueur de mauvais esprit ou de mauvaise volonté.
- 20Oscar BARDA, « J’ai cherché une définition du jeu pendant seize ans et j’ai enfin trouvé », Le Nouvel Obs, 2 février 2016.
- 21Le boulanger du village fait le pain pour tout le village. D’autres gens du village construisent la maison qu’il habite, apprennent à ses enfants à lire, fabriquent les vêtements qu’il porte, etc.
- 22En effet, la coopération ne se produit pas en claquant des doigts. Pour que les gens « marchent » dans la combine — une combine qui leur sert pourtant (et les dessert sans doute tout autant) — il faut des règles et des rôles, combinés dans des jeux sociaux.
- 23Le prix d’un management détestable, c’est l’augmentation des arrêts maladie, augmentation qui coûte très cher en fin d’année à l’entreprise, mais contre laquelle on ne lutte pas.
- 24Pierre BOURDIEU, « Notre État de misère », interview par Sylvaine Pasquier, L’express, 18 mars 1993.
- 25La mission de la structure consiste à réaliser son objectif selon ses moyens sans causer de dégâts.
- 26Pierre BOURDIEU, « Célibat et condition paysanne », Études rurales, n°5/6, 1962, p.109. Repris dans Le bal des célibataires, 2002, Paris, éd. du Seuil, p. 128.
- 27Une tautologie est un « vice d’élocution par lequel on redit toujours la même chose. » (LITTRÉ, Dictionnaire en ligne, V° Tautologie, 1)
- 28HOMÈRE, L’odyssée, chant XI. Contra « Il n’y a pas d’efforts inutiles, Sisyphe se faisait les muscles. » (Roger CAILLOIS, Circonstancielles (1940-1945), 1946, Paris, éd. Gallimard).
- 29Comparez avec l’objectif SMART : spécifique, mesurable, atteignable, réaliste et temporellement défini.
- 30Jacques HENRIOT, Sous couleur de jouer : la métaphore ludique, 1989, Paris, éd. José Corti, p. 300.
- 31D’ailleurs c’est une manière de trouver des idées d’entreprises ou de projets : y a-t-il des buts sociaux qui soient négligés ou délaissés ?
- 32La méthode figure de manière plus détaillée dans le manuel universel.
- 33Pierre BOURDIEU, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Éditions du Seuil, 1992, p. 32.
- 34Václav HAVEL, Méditations d’été, 1998, La Tour d’Aigues, éd. de l’aube, coll. Regards croisés.
- 35Éduquer ses enfants revient précisément à leur transmettre des règles et des repères pour qu’ils puissent exister dans le monde.
- 36Plus exactement à un comportement (faire ou donner) ou à une absence de comportement (ne pas faire).
- 37Les pratiques, les modes, les usages, les obligations juridiques, les réflexes opérationnels, etc.
- 38Le législateur, la DRH, le manager, la société.
- 39La sanction suppose que le salarié saisisse le Conseil de prud’hommes.
- 40Pour comprendre et rédiger vos règles, vous consulterez à profit la page Principe de classification du site Game classification.
- 41Julian ALVAREZ et Damien DJAOUTI, « Le gameplay comme critère de classification », Ludoscience [en ligne], 2006.
- 42Qu’on appelle des « briques » dans l’analyse du jeu : éviter, atteindre, détruire, créer, gérer, déplacer, aléatoire, choisir, tirer, écrire.
- 43Pascal LARDELLIER, « Un anthropologue à l’Apple Store », Questions de communication, 23 | 2013, 121-144.
- 44Les Apple Store — qui restent des boutiques — sont, en apparence du moins, dépourvus des attributs classiques des boutiques (caisses, rayons, vendeurs) et se structurent autour de lieux alternatifs (genius bar, studio, théâtre).
- 45Les valeurs ou les emblèmes (le crocodile Lacoste).
- 46Roger CAILLOIS, Les jeux et les hommes. Le masque et le vertige, Gallimard, introduction
- 47Claude CHABROL, interview « La leçon de cinéma de Claude Chabrol. 3 séquences commentées », à propos du film Rien ne va plus, 1997, bonus du DVD, MK2.